Festival International du Film de Saint-Jean-De-Luz : La permission, L'Enkas, bilan du jour 2

Christophe Foltzer | 3 octobre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 3 octobre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

A quoi reconnaissons-nous un grand festival ? Probablement à la capacité qu'il a de nous surprendre constamment, de nous émouvoir et de nous révéler des visages qui seront bientôt incontournables. Et le FIF de Saint-Jean-De-Luz nous a offert tout cela aujourd'hui. Et peut-être même un peu plus.

Après une première journée qui avait commencé sur les chapeaux de roues, nous attendions cette seconde fournée de films avec la plus grande des impatiences. Autant dire que nous n'avons pas été déçus tant les deux films projetés aujourd'hui en compétition nous ont touchés, émus, voire même bouleversés. On débriefe.

 

photo FIF Saint Jean de Luz

 

LA PERMISSION

On commence tout de suite avec un film très important. La Permission du jeune réalisateur Soheil Beiraghi, dont c'est le second film, nous confronte à un problème de la plus grande urgence : la situation de la femme en Iran aujourd'hui. A travers cette histoire de capitaine d'une équipe de football féminine qui se voit refuser, sur ordre de son mari, la sortie du territoire pour disputer une finale, le film nous propose un scanner effarant de la société iranienne aujourd'hui. Si, évidemment, le message est on ne peut plus violent à l'égard du pouvoir en place et de la société patriarcale très restrictive, La Permission déborde rapidement du pamphlet frontal pour nous livrer un portrait de femme bien plus moderne que nos consciences ignorantes du sujet le pensaient.

C'est une société prise dans le tourbillon de la modernité qui ne sait pas forcément s'y adapter, prisonnière de son traditionnalisme crépusculaire qui serre la vis pour garder le contrôle sur une population féministe aspirant à une réelle liberté. D'emblée, la mise en scène impeccable flatte l'oeil, tout comme l'interprétation parfaite de son casting (Baran Kosari en tête) et la force de son propos.

Loin d'une peinture unilatérale, La Permission propose une réelle réflexion sur l'humain et son évolution dans une société rigide, et ne tombe pas dans le piège facile, et pourtant évident, d'une opposition hommes-femmes qui aurait totalement anéanti la puissance du métrage. Non, comme on pouvait l'espérer, le film reste dans cette zone de gris, privilégiant avant tout le regard humain face à un système, des volontés qui s'entrechoquent pour des raisons purement émotionelles. Il nous met clairement en garde contre le repli des consciences qui s'opère de plus en plus à travers le monde, en réaction à des moyens de communications qui bousculent les traditions.

Si le film est distribué en France (en salles le 28 novembre), il est important de préciser qu'il ne sort pas dans un contexte facile, tant Soheil Beiraghi n'hésite pas à transgresser de gros interdits politiques de son pays pour nous présenter ce magnifique portrait de femme qui menace de le mettre en danger. Pour cette prise de risque que peu de réalisateurs français seraient prêts à prendre aujourd'hui, pour la profondeur et l'intelligence de son histoire et la beauté de sa forme, ce métrage mérite notre soutien le plus total et nous rappelle que le cinéma, dans son ADN, est avant tout un moyen de lutte et de contre-pouvoir.

 

photo La permission

 

L'ENKAS

Il est aussi question de lutte dans L’Enkas, premier film de Sarah Marx co-produit par La Rumeur et co-écrit avec Ekoué Labitey et Hamé Bourokba, même si ici nous parlons davantage de lutte contre soi-même. L'histoire, à la base, pourrait nous paraître classique et archi-revue.

Le jeune Ulysse sort de prison après 6 mois en cellule et se retrouve face à une urgence : s'occuper de sa mère malade, prise en charge par son ex pendant sa détention. Entre une réinsertion difficile, des contingences sociales dures et un non-dit affectif qui pèse, Ulysse se lance dans le trafic de kétamine sous couvert d'un food-truck, qui doit s'installer dans une rave-party.

 

photo L'Enkas

 

Le passé de documentariste de la réalisatrice confère immédiatement à l'histoire un réalisme brut qui n'est pas non plus exempt d'une certaine poésie humaine. C'est bien simple, tout y sonne vrai, authentique et juste, que ce soit dans la mise en scène très proche des personnages, les différents caractères impliqués et les dialogues précis et réalistes. Là où d'autres caricatureraient sans peine un parlé un peu "street" qui dénigrerait totalement l'ensemble, ici, ce n'est pas le cas.

Loin de là même. Il faut dire aussi que le métrage est servi par d'excellents comédiens. Sandrine Bonnaire, bien sûr, excellente comme à son habitude, qui compose une mère dépressive toute en subtilité et en contradictions, dans une performance aussi touchante que fascinante dans ce mélange de fragilité et de détermination.

Mais la vraie révélation, c'est bel et bien Sandor Funtek, qui explose littéralement l'écran dans le rôle d'Ulysse. Totalement dévoué à son personnage, d'une intensité rare, il ne verse jamais dans la caricature et fait montre d'une profondeur humaine et de jeu impressionnante pour un acteur de son âge (28 ans). Il se révèle tour à tour sec, abrupt, attachant et émouvant. Une vraie grande performance pour un comédien à surveiller absolument.

La grande crainte que l'on pouvait avoir concernant le film était un pathos certain et déplacé qui pourrait totalement l'anéantir. Or, il n'en est heureusement rien tant le film reste profondément humain et authentique. Une preuve supplémentaire qu'il faut voir L'Enkas, un grand film sur l'enfermement et la dépendance qui n'a, et c'est honteux, pas encore de distributeur français. Souhaitons qu'il le trouve très rapidement.

 

On le voit, cette seconde journée confirme tous nos pronostics pour cette nouvelle édition du Festival et nous rend encore plus impatients d'être à demain. A suivre...

 

photo FIF Saint Jean de Luz

 

 

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