355 : le James Bond féminin de Jessica Chastain est bien un énorme bide

Après X-Men : Dark Phoenix, Simon Kinberg et Jessica Chastain ont rempilé avec 355, un thriller d'action-espionnage féminin qui s'est planté au box-office.

En 2017, alors que se tournaient les funérailles de la saga X-Men avec Dark Phoenix, Jessica Chastain (qui campait la méchante alien Vuk dans le film) a eu la malencontreuse idée d'aller voir le réalisateur Simon Kinberg pour lui proposer de diriger un film sorti des méandres de son subconscient d'actrice-productrice : un thriller d'action type James Bond et Mission : Impossible, mais 100% féminin et en équipe. L'Avengers d'Atomic Blonde.

Dans la tête de Kinberg, X-Men était déjà enterré et 355 allait payer ses factures pour les temps à venir. Le film s'est alors chargé d'un gros casting féminin, en la présence de Penelope Cruz, de Lupita Nyong'o (oscarisée pour 12 Years a Slave et connue du grand public pour Black Panther), de Diane Kruger (Inglorious Bastards) et Bingbing Fan (Cell Phone). Ensemble, elles devaient opérer une petite révolution du cinéma d'action féminin, mais ça a plutôt été un gros ratage au box-office mondial. Et pour ça, un petit retour en coulisses s'impose.

Desperate Gunwives

Un facteur qu'il est déjà essentiel de comprendre pour capter l'essence du projet, c'est Jessica Chastain elle-même. En 2016, l'actrice a fondé son studio de production Freckle Films dans l'optique de devenir, à l'instar de Margot Robbie ou de Scarlett Johansson (entre autres), une directrice artistique de ses films. Cela nous a conduits aux joyeusetés comme Ava, qui proposait déjà de voir l'actrice en assassin John Wickien (et c'était un navet). Le film a tout simplement été plombé par la critique.

355 n'était donc pas simplement un essai, mais une seconde chance (qui a dit "baroud d'honneur" ?). Avec le fossoyeur des X-Men, Chastain a blindé son dossier de présentation du projet, pour le vendre lors du marché du film du Festival de Cannes 2018. Plusieurs studios semblaient intéressés, mais c'est Universal Pictures qui a obtenu les droits de distribution du film pour la modique somme de 20 millions de dollars. Le plus cher projet de cette édition du festival, rien que ça.

Droit dans le mur, mais avec entrain

En passant, Chastain répétait à qui veut bien l'entendre qu'elle comptait révolutionner l'image des femmes dans les blockbusters. En juin 2019, juste avant le tournage, The Hollywood Reporter relayait un message Instagram de l'actrice, expliquant la production de 355 :

"Pendant que Simon Kinberg et moi faisions Dark Phoenix, je lui ai proposé ce film d'action avec une équipe féminine. Il a accepté, et j'ai donc appelé les actrices que je voulais. Nous nous sommes toutes approprié le film, il est un peu à tout le monde. Et maintenant, nous le tournons. J'aime l'idée de faire un film où toutes ses actrices ne sont pas simplement des exécutantes, mais aussi des créatrices."

Même si la seule motivation "d'un film d'action féminin en équipe" n'est pas très artistique, balancée telle quelle, on pourrait au moins féliciter la bonne intention qu'il y a derrière. Néanmoins, les phases de casting vont se parer de quelques obstacles pas piqués des hannetons. Déjà, en 2018, la célèbre Marion Cotillard était affectée à un des rôles de l'équipe du film, avant qu'on apprenne en 2019 qu'elle ne l'était plus "pour des raisons personnelles". Véritable excuse ou pressentiment d'étron cinématographique ? On ne saura sans doute jamais, faute de détail.

Les fans de Dark Knight soulagés

Finalement, le rôle de Cotillard sera redistribué à Diane Kruger, sans qu'on sache si tout cela a affecté quoi que soit à l'écriture du film (vu qu'il semblait clairement plus s'adapter au profil des stars qu'à les amener à faire un effort de transformisme). Néanmoins, le personnage de Marie étant allemand dans le scénario, nul doute qu'il a été un peu remanié.

Deuxième casting à problème : Bingbing Fan, dont l'arrivée dans la production a provoqué des remous. Recherchée par les autorités chinoises pour fraude fiscale, la comédienne asiatique était sujette à moult polémiques locales dont Huayi Brothers, studio chinois co-produisant 355, était bien au courant.

Malgré un arrangement à l'amiable entre la comédienne et l'État chinois, Huayi a officiellement annoncé son retrait de la production en avril 2019, selon un rapport de Variety, et une partie des financements du film n'était plus garantie. On pressentait une galère en coulisses, mais finalement, sans qu'on sache comment, le film est tout de même parvenu à trouver les biffetons perdus, pour arriver au terme de son tournage et de sa post-production. Tout ça pour dire que les délires de Jessica Chastain, ça coûte cher en péripéties (au moins, ça colle à la thématique du film).

Réunion business mensuelle de 355

355 spectateurs dans le monde

Malgré ces déboires, le film s'en est tenu à ses ambitions. Le reste du casting, avec Penelope Cruz, Lupita Nyong'o et Diane Kruger, avait de quoi faire monter - tant que faire se peut - la cote de ce blockbuster, dont le budget s'élève à 75 millions de dollars (hors promo). Pour un film qui n'est pas une franchise identifiée, porté par aucune star à l'aura Dwayne Johnsonesque et qui est quasi-intégralement féminin, ce n'est pas rien. C'est même casse-gueule, à vrai dire.

Le film était initialement prévu pour janvier 2021, mais, faute de salles ouvertes avec la pandémie de Covid-19, la sortie est repoussée au 7 janvier 2022 (le 5 janvier 2022 en France). Une fenêtre d'exploitation très correcte dans la mesure où il n'y a quasiment aucune concurrence : Spider-Man : No Way Home a fait le gros de son chiffre d'affaires et Morbius, prévu le 26-28 janvier, est repoussé à fin mars-début avril 2022. La voie était donc libre pour une petite percée... qui ne viendra jamais.

Réussir peut attendre

En partie parce que sa promotion était plus que timide, pour ne pas dire transparente, 355 a récolté en un mois et demi d'exploitation mondiale 28,5 millions de dollars. Pas de jaloux, le box-office domestique et international font moitié-moitié, et le film ne rafle que 227 000 entrées en France. C'est la ca-ta-strophe. Ou plutôt, c'est dans l'indifférence générale que le film se glisse en salles.

On serait tenté de se jeter sur l'excuse du moment, à savoir la pandémie et son lot de restrictions sanitaires, mais trop de contre-exemples en 2021 ont prouvé qu'il y avait matière à percer au box-office. Évidemment, 355 n'allait pas avoir la force d'attraction de No Way Home, de Mourir peut attendre ou de Fast & Furious 9, mais le film a un rendement bien trop bas, en comparaison de son investissement. Qu'est-ce qui a pêché ?

Réunion de crise

Tirer la Chasse(tain)

Alors certes, le ralentissement post-pandémique, inhérent à toutes les productions cinématographiques, n'est pas anodin. Mais au-delà de ça ? Une promotion faiblarde ? Assurément, et peut-être était-elle limitée à cause du budget de développement déjà conséquent (75 millions, quand même). Une tuile secrète en coulisses ? Pas de ce qu'on en sait. Le film a tranquillement été tourné durant l'été 2019 et a eu des reshoots pendant l'été 2020, lors des premiers déconfinements, mais rien d'inhabituel pour un blockbuster de la sorte.

Un bouche-à-oreille tiédasse à la sortie ? Certes (critique-presse à 25% sur Rotten Tomatoes et 40/100 sur Metacritic ; critique-spectateurs à 86% sur RT, 4/10 sur Metacritic), même si cela ne fait pas toute l'exploitation d'un film (sinon, les deux Venom seraient loin d'être des succès). Par élimination, on pourrait simplement en déduire qu'il s'agit d'un problème de fond : 355 est un projet qui a sûrement été surestimé, sur lequel on a peut-être investi trop d'argent au vu du potentiel (surtout avec le ralentissement post-pandémique).

Les talons la font glisser

Et avec tout ce que la production a enduré pour arriver à son terme, il y a comme de relents d'ego de Jessica Chastain, tenant absolument à sa percée dans l'industrie d'un cinéma féminin (et féministe), quitte à faire involontairement couler son film. Un caprice trop cher et mal évalué, qui laisse à désirer pour l'avenir de l'actrice-productrice et de Freckle Films. Le blockbuster féminin est encore balbutiant et la production s'est savamment pris les pieds dans le tapis. Deux fois. Fort heureusement, tout n'est pas noir.

Malgré ces deux blockbusters échoués, qui laissent à penser que Chastain ne gagne pas à forcer sur ce terrain, des perspectives un peu plus rayonnantes se profilent avec sa troisième co-production Freckle : Dans les yeux de Tammy Faye. Biopic sur Tammy Faye, évangéliste américaine qui va perdre de sa superbe dans les années 1990, on tient là une possible pépite.

"Et du coup, il reste de la place au casting de Captain America 4 ?"

Moins bourrin, moins industriel, moins calibré, le film a permis à l'actrice de renouer avec ses heures de gloire aux États-Unis puisqu'elle y a obtenu sa troisième nomination aux Oscars (après ses performances dans La Couleur des sentiments et Zero Dark Thirty) dans la catégorie de meilleure actrice. Et elle a toutes ses chances de l'emporter malgré une concurrence féroce et de qualité. Pour se faire une idée de sa prestation bien loin des galères de 355, ce nouveau chapitre de sa carrière sortira le 23 mars 2022 en VOD en France.