Barry saison 4 : critique assassine sur Amazon

Nicolas Cinq | 9 juin 2023
Nicolas Cinq | 9 juin 2023

HBO, la reine mère des séries est en deuil. Son règne magnifique implique inévitablement des étapes d'affliction terrible pour les spectateurs et la période est doublement tragique. Alors que le final impérial de Succession a été diffusé le 28 mai 2023, la chaine américaine a perdu le même jour une autre pépite comme elle seule sait les faire. Créé par Bill Hader et Alec Berg, le petit bijou Barry s'est ainsi également terminé après quatre saisons magistrales et a offert au passage l'une des meilleures séries de son époque. Attention, quelques spoilers !

barry l'anti-ennemi

Après trois saisons passées entre les mailles toujours plus étroites d'un filet démesuré, le personnage de tueur à gages dépressif de Bill Hader se retrouve finalement derrière les barreaux pour le meurtre de l'enquêtrice Janice Moss. Sous l'impulsion de la vengeance endeuillée de son ancien professeur de théâtre Gene Cousineau, Barry va devoir affronter les démons d'une vie criminelle pour laquelle il n'aura été que trop doué. Pendant toute la série, la quête tragicomique d'humanité du personnage s'est muée en véritable centrifuge du chaos, affectant chacun de ses proches. Mais c'est cet élan destructeur qui a permis aux seconds rôles de trouver une place inédite sur l'échiquier existentiel d'une histoire aux retentissements inattendus.

La mise au placard de son protagoniste principal permet ainsi à la série de prouver la force de son écriture au cours d'une saison où chaque personnage va connaître un parcours de fiction vertigineux. Monroe Fuches (Stephen Root), l'intermédiaire et père de substitution pour Barry va se muer en figure iconique d'un antagoniste délirant. Dans un élan de récit méta fabuleux, le personnage adopte finalement le nom mystique de The Raven, figure diffuse et symbole de violence tout au long de la série, et renait au cours d'un montage jubilatoire au rythme de The Wizard de Black Sabbath. La chanson donne littéralement son nom à un sixième épisode qui relance tous les enjeux de la série après le choc de l'épisode précédent.

 

Barry : Photo Bill HaderRequiem for a killer

 

Bien sûr, lorsque l'on parle de Barry, il est devenu difficile de ne pas mentionner la performance génialement drôle d'Anthony Carrigan dans le rôle du tendre sociopathe Noho Hank. Véritable vitrine comique de la série, l'exubérance du personnage permet encore une fois d'apprécier la finesse de l'écriture qui ne se complait jamais à en faire un simple faire-valoir.

C'est même le contraire qui se passe tant le rôle et son interprète livrent des envolées fascinantes de sensibilité en milieu criminel, notamment grâce à sa relation avec Cristobal. C'est bien simple, tous les rôles vont trouver une place pour exister dans cette dernière ligne droite incroyablement équilibrée, et magnifiée par une réalisation qui atteint des sommets inespérés.

 

Barry : Photo Sarah GoldbergSarah Goldberg, magnifique et tragique

 

le frère Hader

Alors qu'il a pris la caméra un peu plus au fil des saisons, Bill Hader s'est intégralement chargé de la réalisation de cette ultime fournée. Et le comédien a livré un travail tout simplement ahurissant, rivalisant avec les meilleurs et s'imposant comme un incroyable artiste. Sous l'influence aussi bien du cinéma indépendant américain que de Jacques Tati ou Bong Joon-ho, l'acteur-réalisateur témoigne d'une maitrise hallucinante dans la composition et le découpage de ses plans.

Comme le réalisateur de Playtime, il parvient à mélanger la comédie à une véritable ampleur cinématographique. Avec ses plans larges qui se transforment en véritables plateaux de jeu, il impose une cinégénie interactive et jubilatoire qui provoque un jeu de domino grotesque et morbide (la tentative d'assassinat de Barry en prison).

Il articule toute la première moitié de la saison autour de panoramas au milieu desquels les personnages en fuite tentent de trouver leur place. Cette technique atteint son apogée au cours d'une scène démente entre Hank et Cristobal, influencé par Les incorruptibles de Brian De Palma. La caméra suit les deux hommes où chacun donne le rythme du mouvement du cadre à 360 degrés autour d'une table lors d'une présentation hilarante de leur projet d'entreprise, le tout dans l'ambiance collégiale qui caractérise la dépiction absurde du milieu criminel dans la série. 

 

Barry : Photo Stephen RootThe Wizard

 

C'est la composition même des plans qui crée la comédie (entre ce qui n'est parfois pas montré, mais plutôt entendu par exemple). À l'instar des frères Coen, Bill Hader abandonne complètement le champ-contrechamp pour placer sa caméra directement entre les personnages, et ne laisse aucune place au spectateur pour apaiser sa tentation voyeuriste. Dans un élan de pur cinéma, il compose également ses seconds et arrière-plans avec une minutie folle (un ordinateur jeté à l'eau, des gangsters ennemis qui chante un karaoké enlacé) et impose un rythme comique tout en contretemps. Le comédien est mué par une intention fascinante de rendre chaque scène la plus récréative possible, hanté par l'idée d'un possible ennui.

La maitrise impressionnante de l'exercice du comédien-réalisateur se trouve sans doute dans le choc de l'ellipse de mi-saison. Soudainement, et après l'allégresse provoquée par la virtuosité des quatre premiers épisodes, la série opère un changement radical. Alors que jusque là, la caméra s'amusait de la fuite de ses personnages, la dernière ligne droite pour chacun d'eux impose soudainement une âpreté esthétique qui se traduit par des plans fixes et de longs travellings avant anxiogènes. Plus personne n'aura d'échappatoire et chacun devra affronter les conséquences d'un spectacle dont l'hilarité est parvenue à faire oublier pendant un temps l'inéluctabilité de la tragédie qui se joue sous nos yeux, et dont le spectateur s'est fait le complice.

 

Barry : Photo Anthony CarriganLe miracle Anthony Carrigan

 

sexe, mensonges et cinéma

Car depuis le début, des inspirations indé au mélange des genres (on est souvent proche de la maestria d'un Memories of Murder) en passant par les aspirations théâtrales de son anti-héros, la série a développé un fascinant regard sur la place de la violence dans la fiction et le rôle joué par le spectateur. C'est tout le sel de l'infantilisation heureuse employée par la série pour humaniser sa galerie de criminel grotesque. Encore sous l'influence du cinéma (le style de Martin Scorsese, le caméo de Guillermo Del Toro, la présence de Michael Ironside), Barry parvient à rendre la violence attractive avant de rattraper le spectateur et de le mettre face à la crudité des conséquences de ce à quoi il a assisté.

Une référence à Seven, basée entièrement sur son absence de tension, montre la complicité instaurée avec le spectateur, déjà au fait des codes du genre. Tout au long de la série, Bill Hader et Alec Berg se sont évertués à démystifier toute la culture du cinéma indépendant américain de ces 30 dernières années, tout en parvenant à en être un superbe héritier. En dépassant le cynisme conscient de l'époque pour préférer une tendresse folle pour leurs personnages terriblement humains et imparfaits, ils donnent des proportions tragiques insoupçonnées à l'inéluctabilité de leur destin, tout en ne tombant jamais dans un réflexe moraliste qui aurait gâché la profondeur de leurs efforts.

 

Barry : Photo Henry WinklerUne tragédie pas comme les autres

 

La réflexion de la série sur la fonction des images atteint son paroxysme dans ses derniers instants, avec une nouvelle ellipse et la sortie de The Mask Collector, la vision d'Hollywood des évènements survenus entre Barry et Gene Cousineau. Dans un dernier élan méta magnifique, c'est le mensonge cinéma qui permet au personnage de Barry de redevenir humain à travers le regard innocent de la progéniture spectatrice.

En restant toujours sérieux et en trouvant un équilibre sidérant entre l'absurdité de l'action cinématographique et la mise en scène d'un quotidien terriblement humain (on pense à Breaking Bad également), Bill Hader et Alec Berg ont ainsi réussi un incroyable tour de force et livré une série absolument renversante. On aura rarement été aussi heureux d'être triste.

 

Barry : Affiche officielle

Résumé

Drôle, étrange, imprévisible... les mots manquent pour décrire l'écrasante beauté de Barry. La série a acquis une profondeur sensationnelle pour atteindre une ampleur inattendue et s'achever avec une dernière saison magistrale. Du grand art.

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Lecteurs

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commentaires
Trac
27/12/2023 à 01:51

Chef d'oeuvre d'humour noir absolu . Franchement rien à dire un final absolument magnifique . Bien écrit, bien joué, bien réalisé. Bill hader t'es un génie mec. Après j'ai conscience que c'est pas une série grand public et que beaucoup ne seront pas réceptif à cette histoire de dingue . C'est soit on adhère soit non car la série au fur et à mesure des saisons devient très sombre on est clairement dans du sheakspeer

Intrus
28/06/2023 à 16:13

Une superbe série qui s'achève.
Le 5e épisode de la 2e saison est inoubliable, en ce qui me concerne (la traque de la fillette).

ttopaloff
22/06/2023 à 09:47

Parfaite de bout en bout, quel chef d’œuvre ! HBO vient d'achever 2 monuments avec Succession, au plus haut de leurs arts ! Bravo à eux !

Absolument tous les acteurs sont à saluer, quelles performances !

rientintinchti2
10/06/2023 à 12:08

HBO peut produire des choses intéréssantes. ça vaut le coup de s'y plonger? Série qui vaut le coup ou ça s'étire et ça meuble sans arrêt comme la quasi intégralité des séries qui nous font perdre notre temps avec histoires et dialogues longs et futiles?

Magnitude
10/06/2023 à 11:37

Très bonne saison une. Ensuite ça n’a fait que de décliner.

Après les épisodes WTF étaient bien cool. Dès la mauvaise saison 2, la série n’a pas su me reconquérir.

Dentscie
10/06/2023 à 01:33

Tellement sous-cotée comme série ! Masterclass

Hank hulé
09/06/2023 à 20:48

La saison 3 est moins facile d’accès mais ça reste du haut niveau

Pat Rick
09/06/2023 à 19:58

Pas un bijou pour moi. Une saison aurait nettement suffi, la saison 3 n'est pas fameuse.

Franken
09/06/2023 à 19:31

J'avais loupé la diffusion de la seconde saison, voilà le meilleur moment pour reprendre sérieusement.
Après Succession, j'espère qu'HBO prépare la relève...

Ozymandias
09/06/2023 à 18:59

Pas réussi à accrocher à la saison 1, faut que je persiste ? Ça ne m'avait pas emballé à l'époque.

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