Roar : la rugissante série féministe d'Apple TV+ vaut-elle le coup ?
Les créatrices de GLOW reviennent avec Roar, une série sous forme d'anthologie fantastique et féministe. Une réussite rugissante pour Apple TV+ ?
Avec Roar, Apple TV+ a décidé de se servir du fantastique pour dresser huit portraits de femmes très différentes. Dirigée par Liz Flahive et Carly Mensch, les showrunneuses de GLOW, cette nouvelle série prend la forme d'une anthologie qui explore divers genres (science-fiction et horreur comprises) et révèle les absurdités quotidiennes auxquelles sont confrontées ses protagonistes.
Inspirée de nouvelles écrites par l'autrice irlandaise Cecelia Ahern, la série est produite par Nicole Kidman et Per Saari, qui ont déjà collaboré sur Big Little Lies, Nine Perfect Strangers et The Undoing. Voici notre bilan épisode par épisode de la mini-série, diffusée sur Apple TV+ depuis le 15 avril 2022. Attention, spoilers !
The Woman who disappeared
Un épisode aussi marquant que son personnage est invisible
Une autrice new-yorkaise part à Los Angeles pour un entretien avec un studio qui souhaite adapter son roman autobiographique en un long-métrage de réalité virtuelle. Au fil des rencontres, la romancière se met à disparaître aux yeux de ses interlocuteurs.
Un pitch prometteur qui cache en réalité un épisode dont le concept de petit malin dissimule mal la superficialité. Ouverture ambitieuse de la série, The Woman Who Disappeared s'attèle à raconter la prise de conscience d'une oppression masculine et d'un racisme latent à travers l'histoire du personnage joué par l'incandescente Issa Rae. Le récit d'un éveil et de ce qui précède la révolte, préparant le flambeau pour les autres femmes de la série.
Une belle idée qui s'exprime malheureusement à travers une narration étirée qui ne vit que pour sa bifurcation fantastique. Les personnages sont fonctionnels et la thématique du racisme est assénée à travers des dialogues sommaires. Une grossièreté formelle qui témoigne d'un scénario qui n'est pas grand-chose sans son dispositif clinquant, lequel étouffe sa matière à réflexion, pourtant intéressante sur le papier.
Quand on fait de ton histoire un jeu vidéo
La laborieuse adaptation du roman de la protagoniste en réalité virtuelle raconte avec pertinence le processus d'appropriation d'un récit intime par une industrie pour en faire un objet de consommation à la pointe de la technologie. Une promesse politique audacieuse, tenue à moitié par The Woman Who Disappeared à cause de son récit sage et balisé. Un épisode jamais désagréable, mais dont la mise en scène littérale de Channing Godfrey Peoples n'aide pas vraiment à donner de la densité et du corps à l'écriture de Flahive et Mensch.
Note : 2/5
The Woman Who Ate Photographs
Deux actrices iconiques pour un épisode remarquable
Robin part chercher sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer afin de la ramener chez elle. Pendant le road trip, elle se met à manger des photos pour revivre des souvenirs.
Beaucoup plus réussi que le premier, ce deuxième épisode de Roar lance véritablement la mini-série, qui semble enfin trouver un ton. Avec dans le premier rôle la fabuleuse Nicole Kidman, cet épisode raconte à travers l’histoire d’une femme et de sa mère malade, comment le passé peut devenir une source de plaisir autant qu'une tentation destructrice.
Robin s'empiffre des photos comme si elle succombait à une pulsion boulimique. Le surnaturel ne repose pas ici sur un mécanisme de science-fiction, mais au contraire, sur un concept organique, loin de tout artefact technologique et lointain parent de la body horror Cronenberguienne. Lorsqu'elle ingère une photo, Robin est transportée pendant quelques secondes dans le passé et peut ressentir le moment comme si elle le vivait réellement.
Une réflexion sur le rôle de la mémoire
Les créatrices ont eu une idée de mise en scène très ingénieuse : illustrer l’appel de la nostalgie comme une addiction. En effet, la satisfaction que procure le souvenir n’est que temporaire. Le flash créé par l’ingurgitation est montré comme un shoot, après sa dose, l’envie de renouer avec cette sensation revenant sans cesse plus fort, plus vite, l'idée du passé étant bien plus séduisante que la réalité du présent.
Note : 4/5
THE WOMAN WHO WAS KEPT ON A SHELF
Une mannequin tombe amoureuse d'un riche prince charmant qui l'invite à vivre dans son énorme maison à Los Angeles... mais uniquement assise sur une étagère toute la journée.
Avec sa jolie Barbie (Betty Gilpin) qui devient un objet sur l'étagère du riche Ken (Daniel Dae Kim), The Woman Who Was Kept On A Shelf vient malmener les normes de beauté qui assujettissent les femmes à leur physique jusqu'à en être déshumanisées. Dans cette idée, le scénario de Liz Flahive et Carly Mensch redéploie le concept de maison de poupée, ses vagues de couleurs pétantes et de cadres symétriques, pervertissant les codes du conte de fées pour en révéler le potentiel anxiogène.
Cependant, l'épisode réalisé par So Yong Kim a du mal à trouver son ton entre le pastiche et la parodie de ces codes. En témoigne une séquence de libération écartelée entre l'envolée émancipatrice qui emprunte à la comédie musicale, et le ricanement distancié qui teinte d'ironie la joie de son personnage. La rythmique du malaise de la première partie de l'épisode s'évapore alors dans quelques outrances involontairement embarrassantes.
"Bonjour, je te propose une vie asservie : chaud ?"
Malgré tout, reste de cet épisode une conclusion douce amère où l'intrigue s'intéresse à l'après-émancipation et se pose la question de ce qu'il en reste avec le temps qui passe. Une réflexion qui détonne par rapport à l'inégalité du segment, tout de même admirablement porté par l'énergie de Betty Gilpin.
Note : 2,5/5
The Woman Who Found Bite Marks On Her Skin
Quelque temps après son accouchement, au moment de reprendre le travail, des morsures apparaissent sur le corps de la jeune mère de deux enfants.
Dans ce quatrième épisode de Roar, le genre horrifique promis par la promotion de la série s’illustre enfin. Comme on pouvait s'en douter, le post-partum du personnage joué par Cynthia Erivo n'est pas montré comme une expérience épanouissante. En effet, cet épisode revisite cette étape de vie à la sauce body horror. Au fur et à mesure de cette spirale de chairs suppliciées, les mystérieuses morsures se multiplient jusqu'à recouvrir son corps presque entièrement, faisant d'elle un véritable monstre capable d'effrayer son pot de colle de fille.
Un épisode qui joue avec les codes de l'horreur
Montrer la douleur psychologique du post-partum et la pression mise sur les mères à travers les épreuves traversées par leur corps, voilà la bonne idée de ce quatrième épisode, qui se sert des codes de l’horreur pour parler du traumatisme causé par un accouchement laborieux. The Woman Who Found Bite Marks On Her Skin n’emprunte aucun détour pour donner chair à cette thématique et pour appeler à libération de la parole des femmes et des mères, qui se laissent bien trop souvent dévorer.
Note : 3,5/5
THE WOMAN WHO WAS FED BY A DUCK
Une jeune trentenaire célibataire voit sa vie basculer au moment où elle rencontre celui qui pourrait bien être le bon. Seulement, c’est un canard.
Probablement le plus surprenant, ce cinquième épisode confirme que Roar, malgré des tentatives ratées, arrive tout de même à déjouer les attentes des spectateurs grâce à sa maîtrise de l’absurde. Merritt Wever interprète ici une jeune femme simple, routinière, étudiante en médecine qui, selon la mécanique bien huilée de la série, va voir son destin chamboulé... par un canard.
Certainement le plus drôle des huit, cet épisode commence comme une rom com assez classique malgré le caractère animal du parti masculin : les deux amants sont gênés, ils se tournent autour, et finissent par passer à l’acte dans une séquence complètement absurde, qui en fera rire plus d’un et clouera le bec aux plus circonspects.
Surprenant ? vous n'avez pas encore entendu la blague sur son pénis
Mais cette histoire d'amour n'est pas le seul intérêt de cet épisode, car, alors qu'on pensait que ce segment n’aurait été qu’un moyen comique de parler de la solitude de certaines femmes célibataires, la femme à chats devenant la femme à colvert, The Woman Who Was Fed By A Duck est en réalité une illustration des violences faites aux femmes. Le canard est un moyen de parler des agresseurs en refusant de n’en montrer qu’un visage et en admettant donc qu'ils peuvent prendre toutes les formes, même les plus inoffensives et attendrissantes.
Note : 4/5
THE WOMAN WHO SOLVED HER OWN MURDER
Le Haunting of Hill House d'Apple TV
Une femme est retrouvée morte dans les bois. Son fantôme se réveille sur la scène de crime et va suivre deux enquêteurs pour résoudre son propre meurtre.
La mécanique métaphorique de Roar se prolonge avec The Woman Who Solved Her Own Murder, où les hommes sont tellement incompétents qu’une morte doit résoudre elle-même son propre meurtre. Un concept un peu lourdingue, martelé par la bêtise et la misogynie artificielle du duo d'enquêteurs. Mais heureusement, l'épisode réalisé par Anya Adams est sauvé par un timing comique au cordeau et un scénario qui s'amuse avec son concept et son genre.
En effet, entre quelques dialogues bien trouvés et un dispositif qui, dans ses meilleurs moments, est poussé assez loin - mention spéciale au fantôme qui a ses règles - The Woman Who Solved Her Own Murder a une énergie comique plus vive que la plupart des épisodes de Roar. Par ailleurs, en réunissant le séduisant enquêteur divorcé, le rapport good cop/bad cop à deux balles et la misogynie de son duo d'inspecteurs, ce segment prend un plaisir contagieux à commenter le genre qu'il investit.
Quand ton fantôme doit faire le taffe de la police...
La série policière du dimanche après-midi en prend donc pour son grade, faisant de The Woman Who Solved Her Own Murder une des relectures les plus habiles de la série. Malheureusement, malgré sa douce acidité l'épisode imprime moins lorsqu'il essaie d'être plus sensible et touchant, faute à la distance ironique prise avec ses personnages.
Note : 3/5
THE WOMAN WHO RETURNED HER HUSBAND
La date de péremption était dépassée
Après 37 ans de mariage, une femme décide de ramener son mari au magasin. La raison ? Produit non conforme à l’annonce.
Vous aviez déjà pensé à ramener votre mari au magasin ? Roar l'a fait. Cet avant-dernier épisode met enfin en scène une réelle dystopie. Dans une séquence presque inaugurale, Anu (Meera Syal), abandonne son mari au rayon “hommes”, qui, évidemment, est situé près du coin jardinage.
The Woman Who Returned Her Husband, dans une ambiance très Desperate Housewifes, est un épisode qui se sert des codes de la comédie de voisinage pour disséquer les travers de la société américaine moderne grâce à une dystopie, illustrant à l'extrême notre société capitaliste où la consommation, ici de mari, est toujours excessive.
Le prince charmant après le vieux mari grincheux
Si cet épisode parle encore une fois de l’émancipation, celle-ci est plus contenue, presque regrettée au départ. En effet, en se terminant sur cette idée que tout être humain mérite une seconde chance, Roar sort des sentiers battus et évite une fin moralisatrice. Ce dénouement, léger et plein de bonne volonté, aurait pu et aurait dû, servir de conclusion à la mini-série.
Note : 3,5/5
THE GIRL WHO LOVED HORSES
Il était une fois... la sororité
Une jeune femme décide de partir dans une course vengeresse à la poursuite du meurtrier de son père.
Après le conte, le body horror et le policier, The Girl Who Loved Horses s’amuse à féminiser le western. En effet, le scénario de Carly Mensch troque un Far West âpre et viriliste en faveur d’un hymne à la sororité. En témoigne un Alfred Molina qui concentre les dérives d’une époque violente et décadente, où l'on peut abattre n'importe qui dans la rue simplement "parce que c'est ce que font les hommes."
Outre ce portrait binaire d'un autre temps, exit les duels à l'animosité exacerbée et les vengeances sanglantes : The Girl Who Loved Horses loue le pardon et la communion. Une démarche de relecture de genre louable et intéressante sur le papier, mais malheureusement parasitée par des dialogues sans ambiguïtés et une collection de stéréotypes encore une fois handicapants.
Octopus n'a qu'à bien se tenir
Entre des personnages mécaniques (Kara Hayward) et des séquences programmatiques (petite danse libératrice au coin du feu) : l’épisode réalisé par So Yong Kim prétend plier des codes, mais ne fait qu'assener à la place d’autres clichés qui rendent le récit inconséquent et étouffe sa portée politique. En reste la prévisible, mais honnête conclusion qui écoute (enfin) un peu son personnage principal pour l'embrasser avec tendresse et douceur.
Note : 2,5/5
ROAR : un Rugissement mitigé ?
Malgré certains très bons épisodes, la série Roar échoue là où elle veut se démarquer. En essayant de proposer une relecture de genre (western, policier, horreur et d'autres) la série se perd dans son intention. L'élément surnaturel ou dystopique est soit trop vite éludé, soit trop étouffant, empêchant certains épisodes de réellement prendre de l'ampleur et/ou d'écouter leurs personnages.
La plupart des épisodes sont bien trop courts pour explorer convenablement les thèmes abordés, souvent trop ambitieux. Néanmoins, la dimension anthologique de la série lui permet d'offrir des conclusions différentes à chaque fois et de s'éloigner du happy-end convenu pour ce genre de série sur l'émancipation.
Roar est disponible en intégralité sur Apple TV+ depuis le 15 avril 2022
Dossier écrit par Chloé Chahnamian et Mathieu Pujebet
26/04/2022 à 16:12
Je me suis lancé et ai regardé les deux premiers épisodes. Format bien trop court pour être convaincant, le soufflé retombe aussi vite qu'il est monté, pour peu qu'il soit monté. Je ne pense pas aller plus loin.
24/04/2022 à 12:17
Merci de nous avoir signalé les deux meilleurs épisodes. Je les ai vus, ils m'ont convaincus de m'arrêter là.