I See You : critique qui voit loin

Mathieu Jaborska | 10 septembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Mathieu Jaborska | 10 septembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Il y a des films qui ne vont jamais plus loin que les projections de festival, tant ils sont difficiles à vendre à un public non initié. I See You d'Adam Randall vient de passer cette étape (après un passage à l'excellent PIFFF de Paris) et pourtant, ce n'était pas gagné. Lorgnant sur certains essais de M. Night Shyamalan, il mise tout sur une intrigue à tiroirs qui se dévoile très frileusement. Mais le jeu en vaut la chandelle.

NOW YOU SEE ME

La rédaction de cette critique ne sera pas de tout repos, car I See You est loin d’être une production très identifiée, et de fait dévoiler son intrigue n’est pas très productif. Et pourtant, le film doit être vu sans piste préalablement énoncée, au risque de passer à côté de son intérêt principal. C’est d'ailleurs la raison pour laquelle ce genre d’exercice de style n’est jamais promis à un avenir radieux dans son exploitation chez nous. Dépourvu de grosse tête d’affiche devant et derrière la caméra (si on exclut la Helene Hunt de Twister et une petite troupe de seconds couteaux américains qu’on a déjà vus « quelque part »), il ne peut pas compter sur un pitch très aguicheur et encore moins sur des money-shots, ou même des plans particulièrement esthétisés, pour orner sa bande-annonce. Il ne reste que la promesse d’un mystère, bien présent ici.

Le long-métrage est donc l’œuvre d’Adam Randall, honnête technicien ayant travaillé sur iBoy pour Netflix et le thriller d’action complètement oublié Under Control, mais surtout celle de Devon Graye, un acteur qui trimballe sa trombine un peu partout, des épisodes de Dexter, des Experts, d’American Horror Story aux films L'Appel de la forêt (version 2009), Red Faction : Origins, Husk ou encore 13 Sins. Cependant, il n’est pas là en tant que comédien, mais en tant que scénariste, et pour son coup d’essai, il compte bien mettre le paquet.

 

photo, Helen HuntThe Hunt

 

En effet, I See You est indéniablement ce qu’on appelle une démonstration narrative, une mise en scène habile d’un script sur lequel tout repose. Amoureux de twists rétroactifs, soyez bénis. Le film se contente de raconter une histoire particulièrement retorse au spectateur, jouant du mystère dans une première partie, puis de l’ironie dramatique dans la seconde, pour finalement lui arracher un petit « mais c’est bien sûr ! » amusé.

On suit donc une parfaite famille américaine, logeant dans une luxueuse maison de banlieue comme seul l’oncle Sam peut produire. Le père est flic, et une affaire de gosses disparus vient à lui, pile au moment où la cellule familiale est au bord de l’explosion, à cause d’une simple infidélité. Pour ne rien arranger, des phénomènes étranges se produisent autour d’eux, des phénomènes qui s’expliqueront bien à un moment.

Le jeu de piste est de fait très bien conçu. Reposant principalement sur une pratique expliquée frontalement et sans fioritures après 40 minutes (qu’on ne vous spoilera pas, même si c’est plus facile à écrire qu’à faire), il prend un malin plaisir à ne pas trop camoufler ses préparations au paiement et ses étrangetés récurrentes. Inutile de chercher la petite bête : le premier retournement de situation étant inspiré d'un principe relativement obscur, il est difficile de réellement prévoir la suite des opérations dans la première moitié. Après ça, on ne peut rien garantir.

 

photoBas les masques

 

Forcément, les gros sabots sont de sortie. Il faut faire avancer l’intrigue coûte que coûte, quitte à scarifier un peu l’exposition à grands coups de répliques bourrines énoncées par Judah Lewis. La mise en scène ne fait qu’épouser les formes du tour de montagnes russes scénaristique, et ne parvient à vraiment exister que quand elle sort un peu de la maison (un comble pour un quasi-huis clos). La musique accompagne de crescendos tonitruants les révélations, remplissant une fonction simple et bête.

C’est tout le paradoxe de ce genre de narration : puisque tout repose sur le récit, celui-ci fait preuve de complexité via sa simplicité. Si on se souvient de son apparente mécanique, il exhibe surtout sa structure en trois actes, accompagnant chaque « turning point » d’un twist important. Rien qu’on n’ait pas déjà vu, donc. Mais l’exécution est clairement à la hauteur.

 

photoLa classique recherche Google, salvatrice

 

WHAT ELSE ?

Comme toujours sur ce genre de proposition, sa force est aussi sa faiblesse. C’est bien beau de réussir à prendre à revers le public, encore faut-il lui raconter quelque chose, ce qui est plutôt rare dans ce type d’exercice ne visant qu’à balader un peu son monde. Ici, l'originalité réside principalement dans la façon dont le genre est traité. Le principe sur lequel repose le tout s’amuse à faire poindre l’intime dans le thriller. L’idée est très fincherienne dans le principe : le vrai mal qui ébranle le petit paradis auto-proclamé américain se terre finalement au cœur des foyers. L’accent est mis sur une malfonction de la cellule familiale de plus en plus marquée. Et l’élément perturbateur représente d’ailleurs en soi tout ce que ce prisme déteste, puisqu’il s’immisce justement dans les failles de ces entités réputées inviolables.

Dommage alors que ce sujet ne quitte jamais le creux où il est cantonné, raboté régulièrement en touche par le scénario, existant en dépit de tout le reste. Car I See You ne daigne jamais s’engager thématiquement, au risque de paraître très froid et mécanique. Et c’est un peu triste, parce que le film ne fait qu’effleurer des idées à développer, mais il ne se risque jamais à aller plus loin, préférant, encore et toujours, se concentrer sur sa narration.

 

photoHome sweet home

 

De fait, une lutte des classes insidieuse est clairement présente en sous-texte et certaines scènes démontrent l’absurdité de l’immobilier américain, si immense qu’on ne contrôle pas du tout ce qu’il s’y passe. Mais ces thématiques s’évanouissent dans la personnalité de deux des personnages, trop gentils ou trop caractérisés en fonction des évènements à venir. Personne dans le casting ne fait autre chose que servir la structure générale, sombrant lentement mais sûrement dans le désincarné.

Le divertissement efficace se tire une balle dans le pied, en ne cherchant pas plus loin que le bout de son nez alors qu’il en avait clairement les moyens. On ne garde donc du film qu’une vague impression, positive, certes, mais aussi un peu frustrante. Parce que s’éloigner de son scénario, c’est souvent aller chercher l’émotion, et ce n'est que très rarement le cas ici.

 

Affiche française

Résumé

Les amateurs de récits biscornus seront aux anges. Les autres déploreront qu'il ne s'agisse que d'un simple exercice de style scénaristique divertissant, mais un peu vain.

Autre avis Geoffrey Crété
I See You a deux visages : celui du trouble, de l'étrangeté et des questionnements, dans la première partie, et celui des réponses et sentiers battus dans la deuxième. Le démarrage est bien plus excitant et réussi, servi par une mise en scène inspirée, qui laissait imaginer beaucoup plus.
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Lecteurs

(3.7)

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commentaires
Ed
23/05/2021 à 13:36

Vous m’étonnez d’avoir compris apparemment ce film .ou alors vous n’osez pas le qualifier de navet ?... et pourtant je suis une assidue de l’originalité ! Je le regarde pour la seconde fois et je ne comprends toujours pas ou alors c’est si simpliste que j’en reste interdite !!

Pistolero
14/02/2021 à 11:55

Ah oui par contre helen hunt... j’ai failli pas la reconnaître ! Un procès à son chirurgien serait la moindre des choses.

Pistolero
14/02/2021 à 11:51

Franchement emballé par ce film ! Je ne connaissais rien du sujet et du traitement et c’était le mieux. Vraiment aimé les « twist », le film sait jouer avec les attentes et le vécu des spectateurs pour mieux les égarer.
Vraiment sympa je recommande

Tania
12/09/2020 à 23:44

Film vraiment au top!
Votre article par contre est plutôt énervant et difficile à lire (trop de parenthèses qui font perdre le fil)

C. Ingalls
12/09/2020 à 09:51

Bon petit film indé.
Merci du tuyau EL !

Zarbiland
11/09/2020 à 08:56

Perso, j'ai adoré,je ne savais pas très bien où ils voulaient nous emmener dans la première partie, la seconde déroule avec le changement de point de vue déroule et c'est super efficace et prenant. Mon coup de coeur de la rentrée

Pulsion73
11/09/2020 à 08:46

un film comme ça qui sort un peu du lot faut pas le laisser passer, ils se ressemblent tellement tous.

Serievore
10/09/2020 à 22:26

J ai ete supris en bien par ce film original.
Et l originalite est de plus en plus rare de nos jours, alors c est vraiment agreable de tomber sur des films qui en ont et qui sont surprenant.
Un bon film qui tente des choses et qui les reussi plutot bien.

Dr.ik
10/09/2020 à 21:09

Belle analyse et vous avez raison, tout depend de ce qu on attend d un tel film. Si c est pour du gore, de la frayeur ou au contraire qu on s attarde sur des personnages fouillés, ce n est pas le bon film. Mais qui aime se faire surprendre, essayer de trouver ou va nous mener l intrigue, anticiper les twist, ce film va surement vous plaire, car il y en a tellement que c est difficile de tous les prevoir. Une vraie bonne surprise pour moi! Surtout que je l ai vu au ciné y a deux mois en exclu, sans rien connaitre du film.

Pulsion73
10/09/2020 à 17:37

Helen Hunt a un visage qui fait peur. Sinon, film efficace, bonne surprise. Un p'tit film malin mais assez classique c'est vrai.

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