Maestro : critique du papa de West Side Story sur Netflix

Alexandre Janowiak | 19 décembre 2023
Alexandre Janowiak | 19 décembre 2023

En 2022, Netflix pensait arracher quelques Oscars avec son biopic sur Marylin Monroe, Blonde d'Andrew Dominik. Le film était trop étrange et radical pour rassembler, mais le N rouge pourrait bien obtenir des statuettes avec MaestroRéalisé par et avec Bradley Cooper (son deuxième film après A Star is Born), le film raconte l'histoire du chef d'orchestre et compositeur Leonard Bernstein et notamment sa relation amoureuse avec l'actrice Felicia Montealegre Cohn Bernstein, incarnée par la sublime Carey Mulligan. Le rendez-vous est-il à la hauteur de cette légende de la musique ?

hymne de la vie conjugale

Bradley Cooper avait marqué les esprits avec A Star is Born, son premier film en tant que réalisateur. Alors novice derrière la caméra, l'acteur avait démontré un vrai talent de metteur en scène notamment dans la première heure du film avec ses scènes musicales. Et c'est d'ailleurs ce qui a convaincu Steven Spielberg de lui confier la réalisation de Maestro. Alors que le papa d'E.T. a toujours été un grand fan de Leonard Bernstein et préparait depuis longtemps son remake de West Side Story, il ne savait pas comment concrétiser ce biopic sur le compositeur et, en 2018, a donc jeté son dévolu sur Bradley Cooper.

Et devant Maestro, difficile encore une fois de ne pas souligner la maestria technique de Bradley Cooper. Dès les premières minutes du film, l'Américain prend des risques formels qui démontrent une réelle envie de cinéma. Avec une fluidité assez magique, sa caméra se balade à travers les murs et les lieux, passant d'un jardin à une salle de concert, d'une chambre à l'immense orchestre philharmonique de New York dans un seul et même mouvement. La liberté de la caméra permet alors de suivre sans barrière la progression des personnages tout en s'alliant parfaitement avec l'idée qu'on peut se faire de la musique de Bernstein, à la fois limpide et retentissante, gracieuse et émouvante.

 

Maestro : photoVisuellement à "cooper" le souffle

 

De quoi rapidement dévoiler une singularité réconfortante au coeur de Maestro, s'affranchissant visuellement des codes classiques du biopic, tout en donnant une ampleur saisissante à certaines scènes du film. Un interlude dansant sur On the Town vient notamment jouer habilement avec les personnages et les spectateurs. En quelques secondes, le film déconstruit notre rapport à la réalité en propulsant les personnages au coeur de la comédie musicale dans un geste quasi-onirique, donnant pratiquement les clés de la future relation entre Leonard et Felicia (dépossédée du compositeur par deux marins passant par là).

Plus encore, c'est évidemment la séquence reconstituant le concert de la cathédrale d'Ely dans le dernier tiers du film qui impressionne le plus grâce à son plan-séquence (supervisé en grande partie par le chef opérateur Matthew Libatique). Tournée dans les conditions du direct, la scène est à la fois magnifiée par l'élégant mouvement de grue de la caméra, transcendée par la performance dévouée de Bradley Cooper dans la peau de Bernstein, sublimée par le morceau de la Symphonie N°2 de Gustav Mahler et surtout conclue par un contrechamp merveilleux sur le visage de Felicia. Une embrassade déchirante venant soulager ce moment de bravoure artistique dans un torrent de pleurs et d'amour.

 

Maestro : photo, Bradley CooperFelicia, la lumière dans l'ombre

 

MESS SIDE STORY

Car en effet, Maestro se concentre avant tout sur la relation intime entre Leonard et Felicia. Une idée bienvenue sur le papier dont Bradley Cooper ne parvient malheureusement pas à totalement tirer profit. Avec le scénario de Josh Singer (son co-scénariste sur le film), Bradley Cooper s'enferme bizarrement dans une structure chronologique assez agaçante, voire ennuyeuse. La narration ultra-classique de A Star is Born était d'ores et déjà le gros point faible du film et Maestro ne déroge pas à la règle. Outre l'idée totalement superflue de passer du noir et blanc à la couleur en milieu de métrage (même s'il y a une rupture évidente), le film subit inlassablement les choix scénaristiques de Bradley Cooper.

S'il a l'intelligence d'évincer de nombreuses évidences (en évoquant à peine West Side Story par exemple), son désir de non-exhaustivité manque paradoxalement de profondeur. Il ne fait, in extenso, qu'effleurer la surface de ses personnages, dont Leonard Bernstein lui-même. Quasiment jamais dépeint en train de travailler ou de créer, Bernstein est uniquement (ou presque) conter à travers son couple avec Felicia et ses multiples relations homosexuelles. Les amants sont d'ailleurs particulièrement mal traités, le récit les éjectant un à un, notamment au début pour ce pauvre Matt Bomer, et ce sans explication.

 

Maestro : Photo Carey Mulligan, Bradley CooperRèglement de comptes

 

Il y a bien sûr des idées d'un charme hallucinant durant le film entre le duo Felicia-Lenny, notamment celle que leur premier baiser soit finalement un baiser de fiction, venant presque sceller leur destin amoureux sans qu'ils ne le sachent vraiment (surtout elle). Et astucieusement, c'est encore à travers sa mise en scène que Bradley Cooper parvient à capturer au mieux leur passion, comme lorsqu'il filme une de leurs disputes dans un long plan fixe pour mieux mettre des mots sur leurs fêlures et ancrer les spectateurs dans leur inconfort (ou qu'il plonge littéralement le minuscule corps de Felicia dans l'immense ombre de son mari).

Hélas, cela ne marche que par à coups puisque Maestro s'embrouille régulièrement dans son montage alternant trop confusément la tragédie romantique du couple Felicia-Lenny et une peinture plus instinctive de la vie artistique du compositeur. Et c'est d'autant plus dommage que le film peut compter sur l'alchimie de son duo principal. Si Bradley Cooper est impressionnant dans un rôle où il devient progressivement méconnaissable (le maquillage est phénoménal) sans jamais tomber dans un assommant pastiche, il peut surtout remercier Carey Mulligan qui saisit – à la fois avec force et délicatesse – la frustration, la douleur et la mélancolie de sa Felicia.

Maestro est disponible sur Netflix depuis le 20 décembre 2023 en France

 

Maestro : Affiche française 1

Résumé

Comme pour A Star is Born, Bradley Cooper réalise un film magnifique visuellement et tristement bancal narrativement avec Maestro.

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commentaires
Erikk
28/12/2023 à 12:37

Pour,vous,faire,une idée de la,performance de Cooper,comparez le finale de la 2ème de Mahler du film et la « vraie » sur YouTube !combien de temps a-t-il travaillé pour arriver à un tel mimétisme ?mais cette perf n’est rien en comparaison de celle de sa partenaire Carey Mulligan,juste extraordinaire !
Quel film!s’il n’a pas l’Oscar c’est que Netflix ne l’aura jamais!

Satan LaBitt
26/12/2023 à 22:58

A Tocap: Karajan ayant dangereusement flirté avec le nazisme, ça peut expliquer que personne ne se soit lancé dans un film sur lui, il ne faudrait surtout pas glorifier un personnage ayant mal pensé...

Brasch-Eazy-E
19/12/2023 à 21:10

Moi j'aimerais un biopic d'Arnold Schoenberg, la BO serait extraordinaire... Surtout réalisé à l'hollywoodienne, avec du bon pathos larmoyant, ce serait génial...

TOCAP
19/12/2023 à 20:04

Etonnant qu'il n'y a pas encore eu un métrage sur Karajan, mais vivement le prochain avec Malkovich: Celibidache!

Alexandre Janowiak - Rédaction
19/12/2023 à 18:58

@Sanchez

Rien compris à votre commentaire mais ça a l'air marrant votre jeu

Sanchez
19/12/2023 à 18:20

Oui donc récapitulatif :
-si le film sort en salle c'est 4
-si le film est français 5
-si le film est salle et français 9
Boum

Grift
19/12/2023 à 18:15

Malgré les défauts remontés, les points positifs semblent d'une qualité rare sur nos écrans en ce moment. Ça donne bien envie de voir le film. Merci

saiyuk
19/12/2023 à 18:00

Merci pour Carey Mulligan, on ne dit pas assez combien cette actrice est douée.

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