Sleep : critique à dormir debout

Judith Beauvallet | 24 février 2024
Judith Beauvallet | 24 février 2024

Auréolé du Grand Prix au Festival international du film fantastique de Gérardmer début 2024, Sleep avait déjà été projeté à la Semaine de la Critique cannoise en 2023. Le premier long-métrage du réalisateur sud-coréen Jason Yu raconte l’histoire d’une jeune femme (Yu-mi Jeong)  qui tente tout pour protéger son bébé des crises de somnambulisme de son mari (Lee Sun-kyun), un homme aimable mais qui devient de plus en plus dangereux dans son sommeil. Fantôme vengeur ou simples problèmes d'insomnies ? La psychose va véroler le quotidien de ce couple innocent dans un film d’horreur pas tout à fait à la hauteur de sa promesse.

Born sleepy

Il ne faut pas bouder son plaisir : sur le papier et dans sa première moitié (et aussi à quelques endroits par la suite), Sleep fait son petit effet. Si son postulat de départ impliquant des problèmes de sommeil qui dégénèrent n’est pas excessivement original, les premières séquences du film accumulent les bonnes idées pour le rendre efficace. Mises en scène sans emphase, les scènes qui montrent Hyun-su dériver vers un somnambulisme morbide sont assez saisissantes.

La joue grattée qui se change par la magie d’un montage brut en plaie ouverte le lendemain matin, les œufs gobés machinalement avec leur coquille, la quasi-chute par la fenêtre amorcée avec un naturel glaçant... Ces écarts à la lisière du fantastique mis en scène avec la banalité du quotidien rappellent ce qui peut faire trembler dans les films de Bong Joon-ho, et ce n’est pas un hasard puisque Jason Yu a travaillé avec le maître et le revendique comme source d’inspiration.

 

Sleep : photo, Jeong Yu-mi, Lee Sun-kyunIl a perdu son sleep

 

Si l’élève n’arrive pas (encore) à la cheville de son modèle, il a retenu à ses côtés un savoir-faire dans la construction de la tension (jusque dans le dernier acte, assez éprouvant pour les nerfs), et le goût pour des plans ambitieux sans en avoir l’air qui émaillent la froideur globale (notamment celui où Soo-jin brise un miroir sans que la caméra ne soit coupée dans son mouvement). Malgré le drame qui se joue autour de sujets un peu glauques, Sleep n’oublie pas de désamorcer son intensité (qui pourrait parfois vriller au grotesque) avec des touches de second degré bienvenues. La recette du film d’horreur parfait ? Ce n’est malheureusement pas si simple.

 

Sleep : photo, Lee Sun-kyun, Jeong Yu-miDoctor Sleep

 

DODOmmage

Le problème principal de Sleep, c'est qu’il ne parvient pas à embrasser suffisamment ses bonnes pistes pour se détacher d’un modèle cliché et désormais ringard. La trame est celle de n’importe quelle série B d’horreur basique : un mari qui ne croit pas sa femme témoin d’événements alarmants, le chien qui trinque pour mettre la puce à l’oreille, une vieille femme mystique qui fait irruption pour donner son expertise sur l’entité fautive...

Passée la fraîcheur du cadre sud-coréen (auquel le public cannois post-Parasite accorde peut-être un peu facilement un crédit intello), Sleep s’avère être en réalité un copié-collé de la formule du plus standard des Blumhouse, sans y apporter rien de mieux qu’une autre langue et un casting différent.

 

Sleep : photo, Yu-mi JeongNi jour, ni nuit

 

Même écriture approximative des personnages (qu’on veut utiliser comme leviers émotionnels, mais auxquels on accorde trop peu de moments de vie en dehors de l’horreur), même type de relations naïves (le couple qui s’est juré depuis toujours de surmonter ensemble tous les obstacles), même climax fourre-tout... Sleep est un candidat plus que parfait au réflexe du remake américain qui ponctionne régulièrement le cinéma étranger, tant il semble avoir été calibré pour correspondre d’avance à son cahier des charges du nivellement par le bas.

Mais toutes ces redites sont-elles si graves ? En réalité, si ces clichés prennent le pas sur les propositions intéressantes du film, c’est sans doute avant tout une question de rythme. Car là où certains segments semblent excessivement longs et pauvres, d’autres cherchent à rattraper le temps perdu et à trop vouloir en dire en quelques minutes. C’est notamment le cas lors du climax, au cours duquel l’explication longue et confuse du pourquoi du comment ressemble à un dénouement d’Hercule Poirot en plus lourd et maladroit.

Dommage encore, puisque les règles du fantastique qui sont alors établies sont, encore une fois, plutôt intéressantes. Sleep est en fin de compte un squelette mal équilibré sur lequel la chair est trop rare et trop mal répartie pour réellement rassasier. L’exercice reste cependant suffisamment honnête pour que Jason Yu soit, malgré tout, un talent à surveiller pour l’avenir du cinéma de genre sud-coréen.

 

Sleep : affiche française

 

 

Résumé

Un film faussement original qui, sous ses quelques moments réussis, ne cache qu'une trame vue et revue à laquelle seul le parfum sud-coréen apporte un petit quelque chose.

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Lecteurs

(3.9)

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commentaires
Dr.ik
29/02/2024 à 00:53

Excellent film qui commence vite avec de belles scènes angoissantes. J ai trouvé que le scénario évolue bien avec ces 3 actes situés à des moments différents. Ça fait bien évoluer l histoire et la tension est toujours présente mais différemment. Par contre la fin pour moi prend très clairement le parti de la simplicité et ne joue pas assez l ambiguïté. Mais effectivement je suis content de voir dans les commentaires qu on peut quand même se poser la question.

ChaosEngine
26/02/2024 à 15:32

Bien aimé aussi, ce n'est pas vraiment un film d'horreur mais plutôt un thriller angoissant.
Un bon rythme, une sacrée tension par moments et quelques scènes qui resteront en mémoire. Pour moi ça donne un film solide qu'on peut recommander "les yeux fermés" ;-)

EspritErrant
26/02/2024 à 14:34

Critique un peu sévère, le déroulé du script est assez classique, mais la tension est bien entretenu tout du long.
Pas renversant mais assez bien ficelé pour procurer quelques frissons.

Black
25/02/2024 à 01:39

Pas tout a fait d'accord avec votre critique, une fin sublime avec plusieurs lectures.
Meilleur film pour ce début 2024 our ma part.

Tonto
24/02/2024 à 22:51

Pas complètement d'accord pour la comparaison avec Blumhouse. Les points communs que vous citez, OK, mais la gestion de l'horreur est très différente que dans n'importe quel Blumhouse. D'ailleurs, il y a à peine d'horreur au sens classique, dans Sleep, c'est plus un thriller paranoïaque qu'un vrai film d'horreur. Là où Blumhouse aurait fait qqch de tonitruant, Sleep fait tout l'inverse, en avançant par toutes petites touches.

Pour moi, le seul vrai problème du film, c'est qu'il y a un plan à la fin qui brise l'ambiguïté et répond clairement à la question : fantastique ou paranoïa ? pour reprendre les termes de djodjo juste en-dessous. Je pense que ce plan est un peu en trop, mais bon, vu qu'il est montré dans le reflet d'un oeil, on peut aussi partir sur l'hypothèse que c'est ce que veut voir le personnage, pas forcément que ce qui est montré dans ce reflet est la réalité. Cela dit, je trouve le procédé trop gros, si c'est ça.

djodjo
24/02/2024 à 19:48

Moi j'ai vraiment aimé. La fin est top. Un peu gros c'est vrai de souligner que le personnage est un excellent acteur et qui du coup peut très bien jouer un rôle a la fin. Mais ca laisse planer le doute: fantastique ou paranoïa ?

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