365 jours : Netflix le bien-pensant est-il en pleine contradiction sexiste ?

Simon Riaux | 19 juin 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 19 juin 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Après des semaines de confinement, une catastrophe économique et un difficile retour à la normale, le public du géant du streaming a vu débarquer 365 jours. Succès de librairie et de cinéma polonais, cherchant à prolonger le succès de la franchise Cinquante nuances de Grey, le film en retrouve le mélange d’opportunisme, de sexe prudent et de discours machiste. 

En quelques heures à peine, le film est devenu un énorme carton pour Netflix, et une partie de la presse est tombée à bras raccourci sur cette production, dont le discours a souvent été perçu comme rétrograde, misogyne, voire franchement toxique. Un choix éditorial qui interroge quant à la politique de la plateforme et nous amène à questionner le statut de l’érotisme, tout en se demandant quelles sont les raisons de son succès. On fait le point. 

  

photo, Anna Maria SiekluckaUn film glaçant ?

 

DE BLACK LIVES MATTER À 50 NUANCES DE VIOL 

Un rapide coup d’œil à l’actualité de Netflix ces dernières années, et l’affaire semble entendue. La firme de Reed Hastings travaille activement son image, celle d’un mastodonte des médias, essentiellement progressiste. Mais l’entreprise n’en reste pas aux déclarations d’intention, et s’engage fréquemment sur des sujets ou débats de société, en prenant des positions claires. Ces derniers jours, l’entreprise a annoncé un investissement de 5 millions de dollars pour initier une collection de films estampillés Black Lives Matter, avant d’officialiser un don de 120 millions de dollars à destination d’universités accueillant traditionnellement et majoritairement des étudiants noirs. 

Un geste d’autant plus notable, que le mouvement politique dans lequel il s’inscrit ne fait pas l’unanimité dans des États-Unis très désunis. En parallèle, Netflix s’est également montré pro-actif tant dans la représentation des minorités que dans les thématiques abordées par de très nombreuses productions achetées ou financées par la plateforme, où inclusion et ouverture semblent des maitres mots. 

 

photo, Anna Maria SiekluckaLe progressisme en pause syndicale

 

Qu’il s’agisse de la micro-société idéalisée de Sex Education, de l’importance donnée au traitement des violences sexuelles dans 13 Reasons Why, ou de la place donnée à des créateurs très engagés en la matière, Netflix s’est montré plus qu’attentif à la question. Ce qui lui a parfois été reproché, certains critiques estimant par exemple qu’une série comme le Hollywood de Ryan Murphy ressemblait trop à une conjugaison d’agenda politique pour fonctionner comme fiction. 

Et pourtant, voilà 365 jours, qui se retrouve décrits par une grande partie de la presse comme un précis de la culture du viol, dont le scénario ne se cache d’ailleurs jamais de représenter la violence sexuelle comme une méthode de drague plutôt banale. L’ogre du streaming a-t-il retourné sa veste et changé son fusil d’épaule ? Rien n’est moins sûr. 

 

photoEncéphalogramme plat

 

SEE, SEX AND STREAM 

En effet, l’engagement politique de la firme a beau ne pas faire de doute, ce qui est encore plus solidement établi, c’est son désir (et son besoin) de faire de l’argent. L’entreprise a investi plusieurs milliards de dollars en achats et production ces dernières années, et doit les rentabiliser en abonnés fiévreux. Or, on l’a déjà dit, la ligne éditoriale de Netflix est beaucoup plus large que celles de ses concurrents tels Disney+ ou Amazon Prime Video. 

Pour espérer dominer, prospérer, Netflix ne peut compter indéfiniment sur le catalogue de studios américains désireux de s’enrichir directement de l’avènement du streaming, et doit donc viser une assiette de public extrêmement large. Très littéralement, parler à tous les publics pour ne s’en retrancher aucun. Le succès massif de 365 jours le prouve (tout comme ceux de 50 Nuances de Grey et After avant lui), il existe un public très large pour ce type de produits, pas forcément compatibles avec les modèles de la concurrence. En effet, ce n’est pas demain la veille qu’on pourra voir un mafieux de pacotille rentrer les poils d’une jeune femme séquestrée en écoutant de la deep house savonneuse chez tonton Mickey. 

 

photoDrame de l'ultraviolet

 

C’est donc une forme de réalisme (ou cynisme commercial) qui préside à la venue du long-métrage sur la plateforme. Une situation assez banale somme toute, pas foncièrement scandaleuse, mais qui permet aussi de replacer les engagements politiques de l’entreprise à leur juste valeur. Aussi sincères soient-ils, ils ne prendront jamais le pas sur la stratégie économique de l’entreprise, et n’ont pas vocation à le faire. 

Ainsi, les grands gestes de Netflix en direction des minorités sexuelles, culturelles, et autres suivent probablement la même logique interne que celle qui pousse la firme à acheter 365 joursLe N rouge a visé le public en quête de récits progressistes avec le même calcul que le public sensible au porno soft à la papa. 

Mais du coup, faut-il voir dans le succès de 365 jours le signe que la presse se serait totalement fait bananer ? Les multiples critiques et commentaires positifs qui accompagnent chaque article dédié sont-ils le signe que le métrage serait en fait un divertissement érotique bien inoffensif ?  

 

photoEn 2020, l'eau mouille toujours

 

ÉROTISME OU AGRESSION ? 

Dans 365 jours, un criminel ayant récemment éternué son cerveau décide de kidnapper une femme qui lui met des papillons dans le ventre, et de lui laisser un an pour tomber amoureuse de lui. Bien vite, ses assauts, menaces, coups de sang provoqueront chez sa victime une fièvre amoureuse et sexuelle qui permettra aux tourtereaux de se payer une formation d’acrobates amateurs. 

On pourrait arguer que si l’intrigue traite franchement de harcèlement, d’agression sexuelle et de viol (à plusieurs reprises, notamment quand une hôtesse de l’air est chargée de satisfaire le personnage de Massimo), le propre de l’érotisme, au cinéma comme en littérature, est de jouer sur les interdits, voire de les explorer. Et c’est tout à fait vrai. Le tabou, et en général la représentation des limites, constitue un des premiers ingrédients de l’érotisme. 

Ainsi, on aurait tort de nier la cruauté des écrits de Sade, où les violences sexuelles abondent et sont souvent source de motifs esthétiques, comme il est indéniable qu’une œuvre telle que L'Amant traite d’une relation très loin de toute forme d’équilibre serein. Indiscutablement, et pour le bonheur de ses amateurs, l’érotisme confronte le public à ses éventuels fantasmes, mais surtout aux impensés de son époque. Brutalité, illégalité, sado-masochisme, fluidité des genres et des sexualités, voire inceste, l’érotisme trouble justement parce qu’il nous autorise, sans véritable danger, à explorer. 

 

photo, Anna Maria Sieklucka, Michele Morrone"Puisque je te dis que ça s'attache comme ça."

 

Pour autant, 365 jours ne participe pas à ce raisonnement. Nous ne nous retrouvons pas face à une intrigue ou une mise en scène qui utilisent une relation conflictuelle, la séquestration et l’agression sexuelle comme une zone impossible, comme un jeu mental (ce qui serait déjà en soi une direction discutable), mais bien comme un pur élément de normalité. Le film nous donne à voir un individu, Massimo, force désirante auquel tout doit céder, et qui menace sans cesse de broyer ce qui ne se soumet pas à lui. C’est sa normalité, et certainement pas une transgression. 

Parallèlement, l’objet de son désir, Laura, n’a d’autres options que la soumission, et ne pourra obtenir bonheur et conjugalité que quand elle achève de renier son identité. Après avoir accepté la séquestration, cédé aux désirs de Massimo (qui ne s’inquiète jamais des siens), accepté de l’épouser, et ultimement changé son apparence en se coupant et teignant les cheveux, le personnage a disparu, devenu un simple trophée que son futur époux peut appréhender avec la grâce d’un boxeur étrillant un punching-ball. 

Soit l’exact opposé de l’érotisme. Ici, on n’explore aucune limite, la violence et l’agression sont données pour acquises, ne remettent rien en question, puisque c’est la modalité première de l’existence, et la condition de l’amour. Mais pourquoi donc un succès si massif ? 

 

photo, Anna Maria Sieklucka, Michele MorroneMiroir, mon gros miroir

 

SUCCÈS DE SUPERMARCHÉ 

Les raisons sont peut-être plus simples qu’il n’y paraît. Tout d’abord, les spectateurs curieux de se mater un soft porn se comptent par millions. Et en matière de festival de la cuisse, l’immense majorité d’entre eux se fiche pas mal que le support vende un condensé du discours de Spinoza, des œufs mimosas ou promeuve la culture du viol. On vient pour regarder de la fesse, pas pour s’inquiéter de comment elle est emballée. Un je-m'en-foutisme peut-être regrettable, mais pas moins prégnant. 

Après quoi, il est frappant, tant sur les réseaux sociaux que sous les nombreux articles ayant dézingué 365 jours, de constater le nombre impressionnant de commentaires vantant le plaisir pris devant le film grâce à ses musiques, ses décors et ses costumes. Il serait facile de les dédaigner en rappelant d’une salve acide combien ces éléments sont d’une laideur effrayante, et d’un mauvais goût extrême. 

Ce serait une erreur et une faute, qui font tomber un certain nombre d’analyses dans le piège que tend le long-métrage, tout en leur interdisant de comprendre son succès. Rendre illégitime le résultat pour sa laideur, c’est oublier combien il semble familier, sombrer dans "le jugement de goût", dont Bourdieu rappelait qu'il est toujours plus une forme d'affirmation de classe teintée de mépris qu'une quelconque analyse. La direction artistique paraît tout droit sortie d’une publicité du début des années 2000, tout comme sa bande-son. Et il serait naïf d’y voir une incidence involontaire. 365 jours fait écho à plusieurs décennies de réclames, de télé-réalité, de digestion d’un monde sous plastique. 

 

photo, Anna Maria Sieklucka, Michele MorroneCulture du viol esthétique

 

Ainsi, son imaginaire n’est pas cinématographique. On ne fait pas référence ici au cinéma érotique, pas même au 7e art en général. Le réseau symbolique qui constitue sa toile de fond fait appel aux totems de la consommation de masse, pas de notre héritage dit culturel. Et par conséquent, le film lui-même attire un public qui n’est pas celui du cinéma traditionnel, qui est consommateur d’images et de flux, mais pas spécifiquement de fiction, et qui n’attend pas que cette dernière se place dans un continuum créatif. 

Et c’est sans doute cela qui autorise Netflix à mettre en avant si tranquillement une production qui hérisse, voire révolte, une fraction du public. Cette fraction n'a pas les mêmes attentes que celle qui apprécie le long-métrage. Tout comme cohabitent en salle les publics d’un cinéma dit art et essai et celui de grosses comédies basses du front.  

Cette séparation souligne une autre donnée : les débats et polémiques qui accompagnent le film pour certains, n’existent tout simplement pas pour les autres. Les goûts et les préoccupations de chaque faction demeurent un bruit de fond, inaudible et inintéressant pour les autres. Et alors qu’une partie de la presse et des spectateurs s’inquiètent du message et de la portée de 365 jours, peut-être faut-il se demander pourquoi ces questionnements demeurent largement inaudibles, ou terriblement cloisonnés. 

 

affiche

Tout savoir sur 365 jours

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commentaires
Blackchab
23/06/2020 à 10:20

Netflix n'est pas con , le progressisme n'est pas rentable ^^

Sana-Kan
20/06/2020 à 22:56

Je n'ai pas vu le film donc je ne vais pas en parler, mais je tenais à dire que j'étais assez d'accord avec l'analyse de Simon Riaux sur la position politique de Netflix. Je crois que le but premier (si ce n'est le seul) de toute entreprise capitaliste est de gagner de l'argent, le plus possible, et cela n'est en fait ni bien ni mal. Du coup cela m'agace quand certaines entreprises "jouissent" d'une image très négative (comme, je sais pas, au hasard Monsanto), comme si leur but premier était de faire le Mal / détruire / conquérir le Monde (of course !), alors qu'en fait leur seul but est de se faire le plus possible d'argent... Mais je crois que cela m'agace encore plus quand d'autres entreprises bénéficient d'une image positive, comme si elles voulaient faire le Bien, alors que leur but est le même ! Les exemples que je cite toujours sont Apple et Netflix. J'ai quelque fois lu des articles ou des commentaires louant la politique de liberté artistique dont bénéficient les réalisateur faisant des films pour Netflix, avec cette image d''entreprise qui privilégie l'Art au détriment du commerce alors que c'est évidemment complètement bidon. Si Netflix a su attirer de grands réalisateurs, c'est d'une part pour soigner son image (et c'est réussi), mais aussi pour attirer un public cinéphile, tout cela pour emprisonner un maximum de clients avant l'arrivée de la concurrence. Encore une fois ce n'est ni bien ni mal, mais il faut juste arrêter d'être naïf... Et apparemment un film comme "365 Jours" vient nous rappeler la logique qui prévaut chez Netflix (et chez tous ses concurrents, ainsi que chez toute entreprise capitaliste).

Miami81
19/06/2020 à 17:14

Je ne sais pas pourquoi il a tant de succès, sûrement pour toutes les raisons qui sont dites, mais c'est bien dommage. A une époque où on tente de changer les mentalités pour arrêter de comparer la femme à autre chose qu'un simple bout de viande, c'est dommage qu'un tel film ait un tel succès. 50 nuances avait au moins l'avantage de correspondre plus à un jeu sexuel entre deux personnes consentantes qu'à autre chose. Je ne n'ai pas vu 365, je ne le regarderai pas pour ne pas lui donner du crédit, je ne peux donc pas donner d'avis légitime, mais bon ce succès me semble être un RDV manqué. Et c'est d'autant plus désolant que de nombreux commentaires positifs semblent provenir de femmes. Comme quoi hein? Chacun sa vision.

sylvinception
19/06/2020 à 16:28

"une fièvre amoureuse et sexuelle qui permettra aux tourtereaux de se payer une formation d’acrobates amateurs."

looooooooooooooooool

Bdz
19/06/2020 à 16:26

Ce film montre simplement comme 50 nuances qu'il y a un public pour les films et histoires de soumission féminine et que même des femmes aiment ça. Il y a quelques années le film "Histoire d'O" avaitt scandalisé. Il y a un public pour ces histoires et aujourd'hui on peut les voir tranquille chez soit ou dans le métro sur son tel...sans que personne ne le sache ce qui permet à un plus grand public et notamment féminin d'avoir accès à ces contenus. Le succès de 50 nuances en librairie et au cinéma atteste de cette demande.

XG58
19/06/2020 à 14:41

Pseudo1, normal, c'est un nanar en puissance. En livre sa passe mais en film c'est une horreur. Limite s'aurait dut-etre un porno.
Flash:C.Bronson en fait des caisses

alulu
19/06/2020 à 14:39

@lulu,

Bien-vu, mais quand le type n'est pas riche, il est violeur, tueur en série et il est pourchassé par la police. Je n'ai pas vu le film mais est ce qu'il y a au moins une enquête policière ?

Flash
19/06/2020 à 14:03

bah, ça vaut pas un justicier dans la ville 2 ! (second degré) je précise pour les fragiles.

Batman
19/06/2020 à 13:44

Donc on va aussi interdire tout les films avec des meurtres....
Si ce film a fonctionné, c'est peut être simplement parce que le contenu a plut...

Kyle Reese
19/06/2020 à 12:50

Je serai curieux de connaître l’avis de JKRollins sur le sujet ... :)

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