The Wicker Man : l'héritage du film qui a inspiré Midsommar et The Third Day

Mathieu Jaborska | 6 novembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Mathieu Jaborska | 6 novembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Début novembre, The Wicker Man devait ressortir en salles, dans une superbe version restaurée. Que son report aille au diable : on va quand même vous parler du mouvement qu'il a initié, mouvement qui produira des navetons mais aussi de grands films, comme le définitif Midsommar l'année dernière.

 

photo, Britt EklandNous devant The Wicker Man

  

Don't keep the Wicker Man waiting

Non, The Wicker Man n’est pas un antique super-héros dont le pouvoir serait de confectionner des paniers en osier. C’est avant tout un long-métrage anglais au culte inattaquable, considéré – à juste titre – comme un des meilleurs films anglais par nul autre que le prestigieux BFI (British Fim Institute).

C’est un film qui s’est directement conçu comme une anomalie. Selon Mad Movies, qui lui consacre un dossier dans son numéro 342, au début des années 1970, l’idée de sa conception sied bien à un Christopher Lee qui en a déjà marre d’incarner Dracula tous les 15 jours. Sur les rotules, il rencontre alors le scénariste Anthony Shaffer (auteur de l’incroyable script du Limier) et le producteur Peter Snell. Les trois compères décident d’acheter ensemble les droits d’un roman intitulé The Ritual, pour le porter à l’écran.

Malheureusement, la chose s’avère en fait très difficile à adapter, et il faudra l’arrivée du réalisateur Robin Hardy, à l'origine de petites séries, publicités et films informatifs, pour sauver le projet de ce qu’on appellerait aujourd’hui le « developpement hell ». Il écrit un traitement et se contente de 460 000 livres (la devise hein, pas des bouquins) pour tourner ce qui va vite devenir un classique.

 

photoUn vrai chemin de croix

 

Inutile de s'étendre bien longtemps sur les qualités d’un tel chef-d’œuvre, traitant de la notion d’altérité, religieuse et spirituelle, comme peu avant lui. Il faut d’abord l'experimenter, et ça tombe bien, puisqu’en marge d’une hypothétique ressortie dans les salles après le confinement dans sa version intégrale, bien plus musicale, Studio Canal l'éditera via la qualitative collection Make My Day de Jean-Baptiste Thoret.

Et sa (re)vision risque de laisser un air de déjà-vu à bien des cinéphiles, car l’influence de l’œuvre d’Hardy est absolument tentaculaire : elle s’est immiscée dans les références de tout un pan du cinéma populaire – ou non -, jusqu’à devenir l’étendard d’une épouvante contemporaine assumant son auteurisme.

Quoi de plus paradoxal, sachant que son auteur, justement, est clairement l’homme d’un seul film ? The Wicker Man n’a lancé aucune carrière notable, même s'il a doté celle de Christopher Lee et Edward Woodward d’un crédit inestimable. Il faut dire que l’exploitation du film par EMI fut assez ridicule. Non contente d’amputer l’œuvre de 10 minutes cruciales (le nouveau montage le prouve), la firme a largement limité sa carrière en salles, l’empêchant de vraiment marquer son époque à court terme.

Au Royaume-Uni, elle fut diffusée en première partie d’un double programme qui est depuis devenu légendaire, avec Ne vous retournez pas en plat de résistance. Le deuxième long-métrage d’Hardy, Angoisse à Dublin, n'a donc pas rencontré son public. Malgré quelques scénarios prometteurs, le cinéaste n'a jamais connu le succès de son premier essai.

 

photoAu bal masqué, ohé ohé

 

feux de joie...

Voilà qui explique la douceur avec laquelle The Wicker Man a influencé ses successeurs. Classique sans néanmoins squatter les rétrospectives, il reste un plaisir d’initiés, de plus en plus nombreux à se prosterner face au culte de l’homme d’osier. En effet, là où les gros morceaux de l’histoire du cinéma d’horreur des années 1970 (Massacre à la tronçonneuse et L'Exorciste en 1974, Halloween en 1978) ont directement produit leur lot d’imitateurs, initiant, dans ces trois cas, des sous-genres très identifiés, le long-métrage de Robin Hardy, du fait de sa nationalité anglaise et de la discrétion de sa sortie, a attendu des dizaines d’années pour connaître ses admirateurs directs.

La preuve : ce n’est qu’en 2006 que Warner et les opportunistes de Millenium se sont décidés à sortir un remake, avec le réalisateur Neil LaBute et - clou du spectacle - Nicolas Cage dans l'uniforme du sergent Howie. La performance de ce dernier est tout ce que retiendra internet de cette production malheureuse, qui n’a probablement jamais pris la mesure de la profondeur du scénario de Shaffer pour le parodier à ce point. Cage se laisse aller à sa spécialité : faire oublier une avalanche de choix artistiques foireux grâce à son jeu en roue libre.

 

photo Nicolas CageLe vrai Bee Movie

 

Dans un entretien à IndieWire datant de 2013, l’acteur parlait d’un choix de carrière mal compris par les spectateurs. Selon lui, le film de LaBute est volontairement comique. Qu’il s’agisse d’une vérité ou d’une excuse repentante, cette débilité se moque bel et bien du mysticisme qui hantait l’original en sacrifiant toute ambiguïté sur l’autel d’une trame téléphonée et en faisant de ses principaux instants de bravoure les cabotinages de Nicolas Cage, lesquels vont rester comme l’image renvoyée par le titre Wicker Man. Un meme moqueur, voilà ce qui subsisterait à première vue de ce chef-d’œuvre.

Heureusement, la culture pop n’a pas attendu l’émergence d’un remake même pas capable de se rembourser (38 millions de dollars de recettes dans le monde pour un budget de 40 millions, ça picote) pour faire directement appel à The Wicker Man. Si certaines œuvres y font vaguement référence dans leur esthétique avant ça (Les envoûtés, Le Projet Blair Witch), c’est bien à partir des années 2000 que son héritage est totalement assumé.

 

photo, Christopher Lee, Edward WoodwardUn duo d'acteurs inoubliable

 

C’est d’ailleurs en 2000 pile qu’une œuvre arbore fièrement ce titre, et c’est un morceau d’Iron Maiden, groupe prompt à exhiber sa cinéphilie. Il ne fait qu'ouvrir le bal. Car l’influence du film s’étend bien au-delà du cinéma : la musique s’en est vite emparée. En 2015, l’artiste Bone Man pond une excellente chanson du même nom, s’inscrivant dans une mouvance psychédélique qui fait forcément écho à sa bande originale atypique. Une bande originale très marquante, donc, qui a réellement impacté le monde du rock contemporain, au point que Radiohead accompagne une de ses compositions les plus singulières, Burn the Witch, d’un clip en stop-motion qui refabrique ni plus ni moins que le long-métrage, fin crépusculaire à l’appui. Un bien meilleur remake que le film de LaBute.

L’obsession va plus loin encore : si le fameux Burning Man, dans sa conception, semble plus faire référence aux rites qui ont eux-mêmes inspirés le film (et heureusement, ça ne donnerait pas envie d’y faire un tour), un festival anglais a carrément choisi l’appellation Wicker Man. On y brûlait un homme d’osier à la fin des festivités. Enfin, pour marquer l’exhaustivité de son pouvoir sur sa terre natale, impossible de ne pas évoquer une des dernières montagnes russes en bois du plus traditionnel et célèbre des parcs d’attraction d’Angleterre : Alton Towers. On y trouve du feu un peu partout, et évidemment, une grande statue de bois. Son nom ? Wicker Man.

 

photoUne communauté très buchet

 

... sur les écrans

Au cinéma, ce n’est que très récemment que des œuvres ont commencé à se revendiquer de l’influence de Robin Hardy, au point de récupérer ses codes, son mode de représentation des cultes païens et même une partie de son scénario. Tout le monde a bien sûr en tête Midsommar, désormais l’autre référence de la « Folk horror », terme de plus en plus en vogue. On vous renvoie à notre critique : impossible de détailler à quel point Ari Aster fait bon usage des codes de son mentor dans un dossier qui semble déjà bien trop long.

Pour résumer, le conflit culturel et religieux qui motive les enjeux de The Wicker Man y trouve un écho social (le rapport qu’entretient Howie au catholicisme est comparable au rapport de Dani à son couple et la bande de mecs avec qui elle s’échappe). Dans les deux cas, les rites païens sont un moyen d’expurger nos liens avec une civilisation qu’on a fini par suivre aveuglément. Midsommar est certes plus progressif, mais la concrétisation de cette rupture culturelle n’y est pas moins violente. Ça ne peut finir que dans les flammes.

 

photoBurn, baby, burn

 

La dernière série HBO The Third Day est encore plus fidèle au classique d’Hardy. En plus de sa construction, de son esthétique, de ses personnages, elle remet au centre de la fiction la figure de l’enfant, la clé de voute des deux œuvres. Difficile de ne pas voir dans l’air ahuri de Jude Law une réminiscence du personnage d’Howie, tandis que certains protagonistes, jouant de l’ambiguïté de leurs rapports aux coutumes locales, font forcément penser aux villageois de Summerisle.

Grâce à une structure narrative qu’on ne dévoilera pas, The Third Day joue délibérément de sa parenté avec le classique anglais pour éprouver son spectateur. Passionnant.

 

photo, Katherine WaterstonJude Law ne fait plus la loi dans The Third Day

 

ils sont partout...

Mais l’influence de The Wicker Man est bien plus importante que ces œuvres bien identifiées ne le laissent croire. Une certaine partie des productions horrifiques – mais pas que – actuelles prennent soin de se réapproprier des éléments du film. L’idée d’une terre idéologique inexplorée, certes antérieure au chef-d’œuvre d’Hardy mais forcément affiliée à lui après 1974, revient régulièrement. Sleepy Hollow, le trop méconnu Le Rituel (le titre du roman dont il est tiré) et l’excellent Black Death de Christopher Smith lui doivent par exemple beaucoup.

Plus concrètement, Le Bon Apôtre de Gareth Evans avait bénéficié d’une sortie discrète sur Netflix. Il multiplie les clins d’œil, et s’amuse à partir d’un postulat quasi-similaire d'avérer la présence du surnaturel. C’est The Wicker Man, si le dieu d’osier du titre existait bel et bien. Le génie d‘Evans consiste à assumer complètement un fantastique frontal, tout en rendant la véritable menace à ceux qui la produisent : les sociétés humaines. Ainsi, si le film va bien plus loin que son modèle dans l’ésotérisme, il en revient aux mêmes rengaines : les résultats d’un repli communautaire extrême. Différents styles (la mise en scène du cinéaste gallois est autrement plus énervée quand l’action point le bout de son nez), même conclusion.

 

photoDu charme de la religion

 

Tout le monde ne cherche pas pour autant à marcher sur les mêmes plates-bandes thématiques. Le Kill List de Ben Wheatley, par exemple, curieux objet qui lui a conféré une certaine réputation et lui a ouvert les portes d’Hollywood (après le Rebecca sur Netflix, il se chargera de la suite d’En eaux troubles), capitalise sur cette mise en scène des rites païens tels qu’ils ont été popularisés par The Wicker Man. Reste que cette histoire ne partage pas grand-chose avec le scénario de Shaffer.

De son côté, Edgar Wright a passé le film à la moulinette de la parodie anglaise. Dans l’hilarante comédie Hot Fuzz, il met en scène un policier consciencieux aux prises avec un village où quelques coutumes étranges semblent subsister. Ou comment le génial réalisateur traque la part d’humour dans ce jeu de faux semblants folklorique finalement typiquement britannique. Une nouvelle preuve de la cinéphile détournée qui se niche dans la truculente trilogie Cornetto.

 

photoUn citoyen innocent d'Hot Fuzz

 

Enfin, celui qui a le mieux réussi à travestir cette mythologie est peut-être M. Night Shyamalan. Quand on y réfléchit, qu’est ce que Le Village, sinon un The Wicker Man à l’envers ? C’est ce qui avait choqué à l’époque, et divisé les spectateurs : le cinéaste déballe son intrigue et son iconographie à rebours pour transformer complètement le point de vue. Un exercice de style unique, quoi qu’on en dise, qui traite également, à sa manière, de la place des cultures spécifiques dans des communautés qui deviennent vite très toxiques. Un autre choc des civilisations.

En bref, le chef-d’œuvre de Robin Hardy a su doucement infuser la production cinématographique ces quarante dernières années jusqu’à s’imposer comme une référence absolue et partagée par tous les cinéphages dans la branche auteuriste du cinéma d’épouvante contemporain. Aujourd’hui, The Wicker Man est devenu un tel morceau que même un manga cultissime comme Berserk n’hésite pas à utiliser son imagerie pour ajouter à son ambiance horrifique démentielle. Une preuve supplémentaire de l’importance internationale de cette claque, indispensable.

Tout savoir sur The Wicker Man

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commentaires
François
07/11/2020 à 22:41

Petite référence aussi dans le Hostel d'Eli Roth, autre film où des héros hors de leur culture sont sacrifiés...

Lors d'une scène de sexe, on y entend notamment une reprise d'une chanson du film par Sneaker Pimps (How do).

Scarface666
06/11/2020 à 23:37

@Ecran Large

Je rajouterais même que Edgard Wright a carrément casté Edward Woodward dans Hot Fuzz aussi ;)

Pat Rick
06/11/2020 à 19:36

Un bon film mais qui ne m'a pas autant captivé que je l'espérais.
Plus de 30 ans plus tard, il a connu suite fort médiocre du même réalisateur.

Nico1
06/11/2020 à 19:22

Merci pour l information !

Mathieu Jaborska - Rédaction
06/11/2020 à 18:57

@Nico1

Bonjour ! A priori, elle est prévue pour le 2 décembre, et on peut déjà la précommander.

Nico1
06/11/2020 à 18:22

Un très grand film à l'origine de tout un pan du cinéma que j'affectionne énormément, et qui a vu bon nombre de films passionnant. Parmi mes préférés : le bon apôtre, l'incroyable Black Death et Midsommar , qui m'a beaucoup plus convaincu que hérédité. Une date de prévu pour l'édition studio canal?

alulu
06/11/2020 à 17:57

Midsommar, les éloges sont justifiés pour ma part. Un peu moins pour Le Bon Apôtre, Le Rituel mais ça reste de bonne facture. Et content de voir Black Death dans la liste. Pour la question de l'héritage, il y a aussi Vikings ou le prêtre esclave participe à un pèlerinage païen...un des meilleurs épisodes de la série.

Ozymandias
06/11/2020 à 14:33

Et j'ai vu Waves hier que j'ai trouvé assez dingue, c'est probablement à cause de votre critique dithyrambique. Super.
Tous mes goûts à remettre en question...

Ozymandias
06/11/2020 à 14:32

@Simon Riaux

Pas faux, bande de manipulateurs.

D'ailleurs j'adore Midsommar et j'ai aimé Jupiter Ascending, c'est encore de votre faute ça...

Kyle Reese
06/11/2020 à 14:17

Le superbe clip de Burn the Witch tiré de l'excellent A Moon Shaped Pool de Radiohead est un hommage à Wickerman ? je ne savais pas; mais du coup ça éveille encore plus ma curiosité, va falloir que je le regarde un jour ce film.
Mindsommar est définitif pour moi, dans le sens ou je ne le regarderai je pense plus jamais. Il est vraiment très réussi mais tellement malaisant. Heureusement que je ne l'ai pas vu dans une salle obscure je me serai senti encore moins bien.

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