Small Axe sur Salto ou la fresque politique fascinante et puissante de Steve McQueen

La Rédaction | 26 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58
La Rédaction | 26 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58

L'anthologie Small Axe, saluée par la critique et réalisée par l'oscarisé Steve McQueen, débarque sur Salto en France ce 26 février 2021.

C'était l'une des grosses surprises des annonces de Thierry Frémaux en juin dernier pour le Label Cannes 2020 : la sélection de deux films de Steve McQueen. Le réalisateur oscarisé pour 12 Years a Slave a, en effet, décidé de délaisser le grand écran après Les Veuves pour se concentrer sur l'anthologie Small AxeUne série de cinq longs épisodes (ou de mini-films vu leur durée) avec laquelle Steve McQueen s'attache à retracer l'histoire de la communauté noire et plus particulièrement antillaise du Londres des années 60 aux années 80.

Le moyen pour lui de se lancer dans cinq oeuvres radicalement différentes dans leur approche, mais qui résonnent pourtant entre elles dans leur manière de traiter des mêmes problématiques, à savoir le racisme systémique, les violences policières ou encore l'exclusion. Jonglant entre les genres et les émotions, Steve McQueen livre alors une fresque passionnante sur la communauté noire londonienne et une époque loin d'être disparue.

Une perle que Salto, la plateforme de streaming française, a réussi à choper au nez et à la barbe d'Amazon. Afin de vous faire une idée, Ecran Large a décidé de revenir rapidement sur les cinq épisodes. Attention mini-spoilers.

 

 

MANGROVE

L'affaire du procès des neuf de Mangrove, un groupe de militants noirs britanniques qui a été arrêté après une manifestation dans le quartier de Notting Hill à Londres dénonçant les comportements violents de la police envers leur communauté. Le restaurant Mangrove est particulièrement touché par ce harcèlement et ce racisme.

En octobre 2020, Aaron Sorkin revenait au cinéma (ou plutôt sur Netflix) avec Les Sept de Chicago et décrivait ses intentions ainsi : "Le film n'est pas une leçon d'histoire, il n'est pas question de 1968 - il s'agit surtout d'aujourd'hui"Avec Mangrove, Steve McQueen pourrait probablement utiliser les mêmes termes pour confier ses desseins avec le premier segment de son anthologie. À l'image du métrage de Sorkin, Mangrove fait un constat frappant : les injustices et problématiques raciales de l'époque résonnent encore aujourd'hui au Royaume-Uni (et ailleurs).

Ici, évidemment, le cinéaste britannique se concentre essentiellement sur le racisme et les violences raciales commises par la police britannique. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il le fait avec une maitrise scénique beaucoup plus impressionnante que le scénariste de The Social Networknotamment grâce à son amour des plans-séquences ou de longs plans fixes (un peu à la Hunger).

 

Photo Malachi Kirby, Letitia Wright, Shaun Parkes, Rochenda SandallLes neuf de Londres

 

C'est ce qui donne probablement une puissance d'autant plus grande à Mangrove : la capacité de Steve McQueen a décuplé le sens des images à travers sa mise en scène. Lors d'une descente de police dans le restaurant Mangrove, la caméra s'attarde sur une casserole en mouvement lorsque tout le monde a été évacué. Une image qui semble anodine et qui reflète pourtant la dure réalité : après la violence, les maux persistent et impactent même bien plus que les victimes directes.

Là est tout l'enjeu du combat mené par les neuf de Mangrove et notamment les excellents personnages incarnés par Letitia Wright et Malachi Kirby. Plus qu'une lutte contre l'oppresseur, il s'agit finalement d'une lutte contre une société qui, de par son système conçu par la communauté majoritaire (les blancs donc), cherche à les diviser pour les affaiblir (incroyable plan-séquence du dernier tiers) et maintenir un statu quo pour conserver ses leaders. Plus encore, il s'agit d'une lutte pour un avenir meilleur, celui de la communauté noire et surtout celui de ses futurs enfants. Car plus que l'envie d'être libre, les neuf de Mangrove se battent ici pour avoir la possibilité même d'exister.

Et c'est ainsi que Mangrove se révèle finalement une porte d'entrée évidente pour l'anthologie qui va suivre, comme l'établissement du contexte qui entourera les différents segments de Small Axe. Une introduction puissante, forte de sens et souvent émouvante.

 

Photo Letitia WrightBlack Lives Matter déjà

 

LOVERS ROCK

Martha et Patty se rendent à une soirée blues-reggae-rock où la jeunesse noire se retrouve pour danser, s'aimer, chanter, rire, être libre et vivre.

Quelle surprise que ce Lovers Rock au coeur de la filmographie habituellement si rêche, si dure et si violente de Steve McQueen. Au milieu de cette anthologie engagée, le deuxième segment de Small Axe rayonne d'une manière bien plus poétique, onirique et épanouissante. Loin des questionnements judiciaires frontaux de Mangrove, Lovers Rock offre une parenthèse sublime et sensuelle sur une piste de danse.

Avec une mise en scène électrique et énergique, la caméra capte la chaleur, la vigueur, le coeur et finalement l'âme de cette jeunesse noire en quête de liberté, de sensation, de vie. Steve McQueen filme ainsi les corps qui se meuvent au gré du rythme de la musique ou les amours qui se font et défont au gré des chansons. Une approche inédite pour le cinéaste, comme si soudainement, son style était infusé par le cinéma d'un Abdellatif Kechiche et des séquences dansantes hypnotisantes de son Mektoub My Love.

 

Photo Micheal Ward, Amarah-Jae St. AubynY a du Kechiche là dedans

 

Il y a d'ailleurs quelque chose de quasiment expérimental à suivre Lovers Rock tant l'épisode repose uniquement sur cette nuit bouillonnante et se révèle une expérience sensorielle. Sur un peu plus d'une heure, les corps s'entrechoquent, les personnalités se contemplent, les regards se croisent, les voix s'unissent et la jeunesse noire se libère enfin du monde dans lequel elle est si opprimée. Car cette nuit n'est finalement qu'une pause libératrice, où la joie l'emporte sur le reste, le temps d'un instant hors du temps où les problèmes semblent si lointains et si futiles.

Lovers Rock est d'ailleurs surtout une parenthèse pour les femmes noires, dont le quotidien est encore plus difficile que leurs homologues masculins. La brève sortie du club sonne comme un triste retour à la réalité, mais pas seulement. Au milieu de cette chaleur humaine, le réalisateur n'oublie pas de montrer également une violence omniprésente (malheureusement) et notamment au sein même de la communauté à travers les hommes (souvent toxiques), tout en offrant le portrait de Patty (Amarah-Jae St. Aubyn), jeune femme déterminée, libre et maître de ses envies.

Steve McQueen surprend alors tant par la radicalité de son dispositif que par la puissance évocatrice qui s'en dégage. Indiscutablement, le metteur en scène n'a jamais offert moments plus ensorcelants qu'avec Lovers Rock.

 

Photo Shaniqua Okwok, Amarah-Jae St. AubynLa légereté de la vie

 

RED, WHITE AND BLUE

Après que son père s'est fait agresser par deux policiers, Leroy Logan choisit d’intégrer les forces de l’ordre dans l’espoir de changer le système de l’intérieur.  

Si l’entièreté de Small Axe possède une résonnance forte avec l’actualité, Red, White and Blue s'attaque frontalement (et avec brio) au racisme systémique dans le domaine de la police. Plus sec dans son approche, Steve McQueen accorde sa mise en scène à la notion d’effort, l'effort de son protagoniste dans son combat perpétuel face à un système brisé qu’il voudrait pourtant respecter.

Si John Boyega a prouvé toute l’étendue de son talent depuis la postlogie Star Wars, sa colère enfouie donne toute sa force à un récit filmé avec une brutalité rageante. Par de simples gros plans sur ce corps crispé, au bord de l’implosion, McQueen dépeint avec émotion un sentiment d’impuissance face à une fracture sociétale a priori impossible à résorber.

 

Photo John BoyegaUn John Boyega parfait

 

Le réalisateur a, dès lors, l’intelligence de donner à cet épisode la forme de points de suspension, plutôt que d’en tirer des conclusions trop définitives. Ce n’est sans doute pas un hasard si Red, White and Blue se trouve pile au milieu de la mini-série, tant il rend justice à ces intermédiaires qui ont accepté de mettre les mains dans le cambouis pour servir leur communauté.

McQueen déploie pour cela des jeux de miroirs passionnants, qui soulignent la crise existentielle de son héros, méprisé par les deux bords qu’il essaie de réconcilier. En prenant les atours d’une fable cruelle, ce chapitre s’affirme comme une main tendue vers un avenir plus radieux, porté par l’héritage militant de ces héros de l’ombre.

 

Photo John BoyegaL'ordre et la morale

 

ALEX WHEATLE

L'histoire vraie de l'écrivain Alex Wheatle. De son enfance dans des orphelinats ou en foyer à sa découverte de sa passion pour la musique et le DJ'ing en passant par la case prison lors du soulèvement de Brixton en 1981.

Connu pour ses démonstrations d'austérité au service de son commentaire social, McQueen est bien obligé de s'en remettre à la puissance de la narration lorsqu'il s'attaque à un biopic : celui de l'auteur Alex Wheatle. Non pas que ses fameux longs plans, échappant au rythme général pour extraire une épreuve particulière du confort de la fiction, soient absents. Lorsque Wheatle est plaqué, encore et toujours, au sol, sans la moindre forme de procès, sa caméra capte la force de l'oppression, son inéluctable présence.

Mais pour condenser une telle histoire en à peine plus d'une heure, il s'appuie sur une structure en flashbacks très classique, ayant fait ses preuves. Et c'est ici que réside toute la subtilité de l'épisode, et plus largement de son cinéma : capable de miser sur la sobriété au bon moment, il évite soigneusement la prestation technique ou esthétique, pour coller au maximum à son sujet. La mise en scène parvient donc à faire vivre le scénario co-écrit avec Alastair Siddons sans jamais perdre de vue le cap de l'épisode, à savoir le récit de l'émergence culturelle communautaire, même si cela implique de passer par un encart photo-documentaire.

 

Photo Sheyi ColePrison break

 

Coincé entre une rage sociale certaine et un bagage culturel auquel il aimerait mieux s'adapter, le personnage est en quête de son identité en dépit d'une autorité qui fait tout pour la le lui refuser. Un processus extrêmement complexe exigeant de coller aux basques de l'artiste en herbe, afin de retranscrire fidèlement son cheminement. Mission accomplie.

Bien sûr, les ambitions du duo de scénaristes ne s'arrêtent pas à la caractérisation de l'écrivain. À travers son parcours, il élabore sur l'interconnexion des mouvements culturels et politiques, forcément appelés à badigeonner les jeunes esprits tant ils sont étroitement liés à la discrimination systémique dont ils sont victimes. Engagé de parts et d'autres, souvent malgré lui, Wheatle a finalement su s'exprimer en s'inspirant de sa jeunesse. Et c'est ça qui intéresse McQueen et Siddons : la puissance du vécu, le magma d'impulsion qui s'y niche, aussi violent qu'inspirant à Londres dans les années 1970 et 1980.

 

photoUn récit effroyablement actuel

 

Éducation

Jeune garçon vif, Kingsley a des difficultés pour se concentrer et apprendre la lecture. Estimant qu'il ne peut suivre un cursus normal, ses enseignants décident de le faire scolariser dans un établissement spécialisé. C'est du moins ce que lui fait croire le corps professoral.

Ultime chapitre de l'anthologie, il est peut-être celui qui illustre le mieux son titre, directement issu de la chanson éponyme de Bob Marley. La petite hache de Small Axe, c'est la conscience de l'injustice qui s'insinue dans des individus qui n'en réalisaient pas la portée. C'est celle d'un enfant comprenant que le système éducatif n'est pas là pour l'éduquer, c'est celle d'une mère qui réalise qu'on l'a dupée, celle d'un père qui ne veut plus se résoudre à ce que son fils suive la même voie de garage que lui.

Et cette accumulation d'énergies, vulnérables, fragiles, modestes, McQueen les capte à la perfection. Collant toujours aux mouvements de ses personnages, captant comment l'incompréhension vire à la frustration, la frustration à la colère et la colère à l'engagement, il enregistre la naissance d'une révolte timide, dont on sent la puissance électrique bruisser durant toute la seconde partie du métrage. Il faut dire qu'une nouvelle fois, il réunit un impeccable casting, qui fait oeuvre de justesse, et ce de bout en bout.

 

Photo Kenyah Sandy, Sharlene WhyteUn conditionnement social particulièrement cruel

 

Inspiré du pamphlet de Bernard Coard, publié en 1971, ce segment constitue une conclusion idéale pour ces cinq récits. Consacrant dans un même mouvement la description quasi-documentaire des inégalités qui gangrènent la société britannique, tout en décrivant avec énormément d'empathie les mécanismes qui les entretiennent, mais aussi les actions qui, inexorablement, les entame. Cet équilibre trinitaire s'incarne avec puissance lors de séquences brutalement émouvantes, comme lors d'une séance de lecture douloureuse, où une mère et ses deux enfants prennent soudain conscience de leur condition.

Ce dernier chapitre possède un grand coeur qui bat, mais il ne se dépare pas pour autant de la conscience de classe qui imprègne l'anthologie. Quand des femmes fraîchement politisées s'organisent pour faire connaître la violence sociale qui s'abat sur elles, les entendre se féliciter de contacter une certaine Margaret Thatcher, nouvelle venue sur la scène politique, on se rappelle que McQueen est aussi un grand cinéaste de l'amertume.

L'intégralité de Small Axe est disponible sur Salto depuis le 26 février 2021 en France

Tout savoir sur Small Axe

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
FUCK.SEB
01/03/2021 à 00:32

Les fachos si vous êtes pas content prend un verre d'eau et allez vous couchez, bande fils de bassem

FUCK.SEB
01/03/2021 à 00:29

@MystereK la voix de la raison, plus sérieusement je pense que les sujets tels que le "racisme" sa ne leur plaît pas de voir la vérité en face que ça soit à travers l'actualité, ou dans des film ou série. parce que lorsque une personne non blanche se plaît il appelle sa "chouiner" comme on peut le voir dans chaque articles qui parle plus ou moins de ce sujet

MystereK
28/02/2021 à 15:53

JEANCUCK, , ZEUB Il y a des centaines de films par ans (et des millions depuis le début du cinéma) qui sont fait par des blancs pour des blancs avec des méchants des toutes les couleurs (sauf des blancs) et là, on ne vous entend pas parler du patrimoine en parlant de propagande et de stigmatisation.... Que je sache chaque communauté à le droit de s'exprimer et de raconter des histoires qui les concernent et ce n'est pas deux ou trois blancs frustrés dès que l'on ne parle pas de leur grandeur qui doivent mener le ba.

Tony
28/02/2021 à 10:16

@zeub Mdrrrrr donc j’énumère une vérité on me traite de Kaïra mdrrrrr t’as refais ma journée et si je te traitais de sac à vin je serai quoi un bobo ? Mdrrrr charognard !

Sir Mcintlock
27/02/2021 à 21:32

"gneu gneu gneu racistes gneu gneu gneu"

Ça vole haut chez les indigénistes et leur vocable limité, haha.

FUCK.SEB
27/02/2021 à 16:28

Je recommande Bad boys 2 de Michael Bay surtout la scène d'intro avec le KK ou django unchained de Quantin Tarantino je vous recommande tout le film gros bisous

FUCK.SEB
27/02/2021 à 16:22

Wsh les racistes qui se cache derrière leur ecran pour parler comme sa, si vous êtes pas content désabonner sa feras des fachos en moins ptdrr bande de lâche

Foutrepine
27/02/2021 à 12:15

Très bon réalisateur mais le sujet.. Fou encore du misérabilisme à la niouk sur un sujet traiter 1000 fois cette années.. Pas besoin d'être "facho" pour constater ça.

Moijedis
27/02/2021 à 03:46

Encore du misérabilisme , de la pleurnicherie, de la victimisation .
Et encore du grand méchant raciste blanc . Bah voyons .

Thekiller
27/02/2021 à 02:45

Le roi du cinéma pleurnichard.

Plus