Le mal-aimé : Double Team sur Netflix, la rencontre boursoufflée de Tsui Hark et Van Damme

Mathieu Jaborska | 1 avril 2021 - MAJ : 01/04/2021 14:11
Mathieu Jaborska | 1 avril 2021 - MAJ : 01/04/2021 14:11

Parce que le cinéma est un univers à géométrie variable, soumis aux modes et à la mauvaise foi, Ecran Large, pourfendeur de l'injustice, se pose en sauveur de la cinéphilie avec un nouveau rendez-vous. Le but : sauver des abîmes un film oublié, mésestimé, amoché par la critique, le public, ou les deux à sa sortie.

 

Affiche

 

"Les décors sont impersonnels, les acteurs sont somnambules, les scènes ne se terminent pas, elles s'arrêtent" The New-York Times

"C'est pourri : une James Bonderie incohérente qui se distingue uniquement par sa décadence formelle et la présence du joueur de Basket Dennis Rodman" Time Out

"La couleur de cheveux interchangeable et psychédélique [de Dennis Rodman] est l'effet le plus réellement spécial" Entertainment Weekly

 

 

Le résumé express

Jack Quinn est un agent spécial antiterroriste au palmarès d'or et aux abdos de titane. La naissance à venir de son marmot le convainc néanmoins de prendre sa retraite, après une dernière mission forte en explosions et en plutonium. Mais Stavros, son ennemi juré, réapparait. Motivé par la mort de l'agent venu lui apporter la nouvelle, Quinn le retrouve à Anvers, et prend part à une fusillade qui tue Stavros Jr. Le paternel, en revanche, parvient à s'échapper.

Suite à cet échec, Quinn est envoyé dans un club Med d'anciens combattants, dont il est impossible de s'échapper. Mais impossible n'est pas Van Damme, surtout quand son adversaire furieux menace sa femme, Kathryn. Grâce à un subterfuge malin et une apnée à rendre jaloux Aquaman, il prend la tangente, poursuivi par un autre agent.

Seul contre tous, Quinn s'en remet à Yaz, un vendeur d'armes fan d'Eurodance et de BDSM. En échange d'un accès aux comptes en banque de la CIA, celui-ci finit par l'aider, l'accompagner, puis carrément l'épauler dans la recherche de sa famille. Le duo retrouve Kathryn, qui vient d'accoucher, à Rome. Stavros a pris la tangente avec le nouveau-né dans les rues de la ville. Suite à un affrontement dans le Colisée, qui entraînera la destruction en toute impunité d'un des vestiges les plus célèbres et précieux de l'Histoire occidentale, Quinn et Yaz finissent par récupérer le gosse et laisser leur ennemi à sa mort (atypique), en toute impunité bien sûr.

 

photo, Dennis Rodman, Jean-Claude Van DammeLa bromance du siècle

 

Les coulisses

Quoi qu'on pense des Muscles from brussels et de ses velléités philosophiques, il a su, une fois la consécration de Bloodsport et ses plus gros succès (Kickboxer, Full ContactDouble ImpactUniversal Soldier) derrière lui, faire intervenir sa propre culture pour pérenniser sa carrière. Grand amateur d'arts martiaux avant d'être bodybuilder, il a surfé sur l'opportunisme des majors des années 1990, commençant à lorgner la maitrise technique des cinéastes hongkongais, alors au sommet de leur art.

C'est lui, accompagné de Jim Jacks et Chuck Pfarrer, qui avait convaincu Universal d'embaucher le courtisé John Woo pour Chasse à l'homme. La résonnance internationale de The Killer aidant, il avait décroché au cinéaste (dont il admirait le style) son premier contrat américain. Une migration qui en entraînera bien d'autres, alors que le spectre de la rétrocession s'abat sur Hong Kong. Déjà Van Damme usait de son pouvoir de vedette, contre les désirs artistiques de Woo et Sam Raimi, désigné pour superviser le réalisateur importé, mais devenu finalement son plus grand défenseur.

 

photo, Jean-Claude Van DammeJohn Woo. Jean-Claude Van Damme. Une coupe mulet. Les années 1990.

 

En 1996, il accompagne la seule incursion hollywoodienne du grand Ringo Lam avec Risque maximum. En 1997, Hong Kong change officiellement de statut, l'arrivée du piratage et tout simplement la mondialisation mènent la vie dure au cinéma local. Tsui Hark, grand manitou de l'industrie (la fameuse Nouvelle vague) dans les années 1980, marqué par l'échec du génial The Blade, consent donc à accepter un contrat avec la Columbia, lui proposant trois films. Après avoir révélé le talent de Woo en produisant Le Syndicat du crime, le maître lui emboîte le pas dans le piège hollywoodien.

Le premier de ces films est Double Team, véhicule évident pour la vedette belge et l'ex-basketteur Dennis Rodman, qui s'essaie au cinéma entre un round de catch et une émission de télé-réalité, dans lesquels il exporte également son style tapageur. Le modèle américain, qui donne carte blanche à Van Damme et aux producteurs (en tête desquels Moshe Diamant, fidèle collaborateur de l'acteur de Kickboxer) ne sied guère à la conception du cinéma du metteur en scène, dans une démarche d'auteur.

 

photoDu cinéma d'auteur, du vrai

 

Le tournage ne se passe donc pas extrêmement bien, d'autant qu'à l'époque, le comédien est complètement accro à la cocaïne, perdu dans son cercle d'auto-destruction, celui qui va gâcher une carrière encore étincelante. En 1994 déjà, il avait semé le chaos sur le tournage du nanar Street Fighter. Dans un entretien au Guardian, le réalisateur Steven E. de Souza révèle qu'il consommait 10 000 dollars de cocaïne par semaine, abandonnant complètement son rôle au passage. En 1998, l'acteur décrira à Entertainment Weekly son état très fragile lors du tournage de Piège à Hong Kong, deuxième collaboration avec Tsui Hark.

Pas le contexte idéal pour tirer le meilleur d'une célébrité aussi importante, ou pour exporter un des plus grands talents de la planète. Le diptyque complètement absurde qui résulte de cette collaboration marque les dernières glorieuses heures des deux artistes à Hollywood. Hark ne réitérera pas l'expérience, tandis que Van Damme, prisonnier de ses addictions, sombrera dès 1998 avec Légionnaire, puis Replicant.

 

photo, Dennis RodmanIl y a des signes qui ne trompent pas

 

Le box-office

Une déchéance aussi due au score du film, loin, très loin des premiers cartons de l'acteur. En dépit d'un budget conséquent de 30 millions de dollars, il en rapporte à peine plus de 11 millions aux États-Unis, dont 5 millions lors du week-end d'ouverture. Assassiné par la critique, quelle soit familière du cinéma hongkongais ou pas, battu par Le Saint avec Val Kilmer, puis par Anaconda, plus rentable en à peine une semaine, c'est une catastrophe économique.

En France, il atteint péniblement les 358 958 entrées, envoyé à l'abattoir face à un Scream explosant tout sur son passage (il dépassera largement les 2 millions d'entrées). Dans le monde, il finit par récupérer 20 millions de dollars, score qui a probablement gonflé avec le marché de la VHS, alors au top de sa forme. Reste que la réputation de la chose, vainqueur de trois razzie Awards, tous trois remportés par Rodman, l'a vite cantonnée, au mieux au rang de nanar définitif, au pire, au néant.

 

photo, Mickey RourkeTsui Hark quittant Hollywood

 

le meilleur

Difficile d'analyser la montagne d'absurdité Double Team sur un mode binaire, alors que ses qualités s'interchangent en permanence avec ses défauts. Véritable feu d'artifice de n'importe quoi envoyant paître toute idée préconçue du bon goût à l'américaine, le film est presque punk dans sa grandiloquence hybride, preuve en est du personnage de Yaz, marchant d'arme au look improbable tout de cuir et de cheveux multicolores. C'est l'ultime incarnation du sidekick hollywoodien, forcé d'accompagner le musculeux héros sans autre motivation que sa présence dans le scénario, avec toute une gamme de blagues complètement à la masse.

Tout le long-métrage est construit sur cette exagération permanente des tropes hollywoodiens, exagération qui prouve de fait leur portée non-sensique. Quand les héros classiques essaient leurs flingues dans l'armurerie, Quinn dégoupille une grenade. Quand les scripts classiques glissent des placements de produit avec subtilité, Quinn écrase presque sa montre au logo évident contre la caméra et ne doit son salut qu'à un distributeur de soda qui ne perdra pas ses couleurs rouges en pleine fournaise.

Et quand les blockbusters classiques se jouent des monuments célèbres des pays qu'ils explorent, Double Team délocalise l'intégralité de son dernier acte à Rome, et en profite pour faire sauter le Colisée. Réaction de Yaz : "Je me demande de combien sera l'amende". Générique.

 

photoComme l'impression qu'on essaie de faire passer un message...

 

Impossible de ne pas déceler le je-m'en-foutisme de Tsui Hark, apparemment ravi de renvoyer à la tronche de ses commanditaires leurs propres manies esthétiques dans un geste qui relève presque du sabotage. En résultent des séquences complètement lunaires, du club de vacances sentant la testostérone dont Quinn s'échappe au prix d'un insert aux limites du gore à un running gag persistant à mettre des bébés au coeur des fusillades, en passant bien sûr par les apparitions d'un Mickey Rourke somnolent qui tourne le dos aux explosions et finit à la fois dévoré par un tigre et explosé par ses propres mines.

Bancal, mais si généreux en outrances qu'il se mue en chef-d'oeuvre impérissable une fois alcoolisé, Double Team franchit régulièrement les frontières du nanardesque, à un rythme presque hypnotique, que ce soit grâce à une réplique ("avec ça, je peux toucher la bite d'un oiseau-mouche") ou un mouvement de caméra particulièrement audacieux. Car même si on devine une certaine répression des envolées visuelles de Hark, la frénésie de son style transparaît de temps à autre, au détour d'un angle osé ou d'un choix de composition délirant, notamment lors de la réjouissante (et trop courte) baston contre Xin Xin Xiong, collaborateur du cinéaste par ailleurs ici superviseur des chorégraphies.

 

photo, Mickey RourkeMickey est fait comme un rat

 

le pire

Mais cette qualité est aussi son défaut. L'ego artistique de Tsui Hark n'aurait jamais pu s'épanouir à Hollywood, et pour cause : son appréhension de l'action est aux antipodes des standards de l'oncle Sam, et plus particulièrement du star-system. Chez Hark, c'est l'exercice stylistique qui prime. Chez ses collègues américains, c'est le corps de la star. Double Team souffre d'être un duel esthétique permanent entre Van Damme et Hark, chacun essayant d'accoler son identité au projet.

Perdu entre les iconiques grands écarts de l'acteur le plus aware du game et les excentricités honteusement recadrées d'un des réalisateurs les plus formalistes de l'Histoire, le spectateur éprouve surtout une sensation de frustration. S'il n'était pas assujetti aux plaquettes de chocolat de sa vedette, le metteur en scène aurait peut-être pu signer son oeuvre la plus chaotique. On passe à deux doigts de la transcendance du nanar trépané, outrepassant l'attentisme de son casting afin de mieux envoyer valdinguer les conventions visuelles hollywoodiennes.

 

photo, Jean-Claude Van DammeBaby's on fire

 

Au lieu de ça, la caméra revient perpétuellement au culte de la personnalité du comédien, bien plus à l'aise quand son équipier était lui-même. Mais malgré ce goût d'inachevé et ses incohérences scénaristiques sidérantes, Double Team s'avère bien moins aseptisé que les plus américaines des apparitions du roi du high kick. Essayez donc de doubler la séance avec un Universal Soldier, et constatez la différence.

De son côté, après le diptyque Van Dammien, Hark s'en ira vers d'autres horizons et signera une de ses plus grandes oeuvres au sein d'un cinéma hongkongais agonisant, Time and Tide. Il fera bien de partir, car des longs-métrages de cette trempe, dans 20-30 ans il n'y en aura plus.

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commentaires
Cacouac
03/04/2021 à 02:16

Tsui Hark est un génie. Un génie un peu fou et totalement incontrôlable.
Je l’imagine bien saper de l’intérieur chacun des choix des exécutifs, les pervertir en quelque chose de malade et de jouissif et trouver ça très drôle !
C’est avec ça en tête que je regarde ce film.

Dorémi
03/04/2021 à 02:06

Il serait temps d'arrêter de confondre les nom et prénom de Tsui Hark quand même...

stivostine
02/04/2021 à 11:27

Le début du film se passe pres de chez moi à Théoule-sur-Mer, tres beau spot mais c'est vrai que Piège à Hong Kong est beaucoup plus fun : JCVD chantant dans sa bm, culte.

McDuck
01/04/2021 à 21:15

jorgio6924

Exactement,

Piège à Hong Kong est sans doute un meilleur film pour sa folie son second degré et son"je vais me foutre de toi mon belge cocainé, tkt pas mdrrr" de la part de Tsui Hark! J'adore JCVD et Piège à Hong Kong reste un de ses meilleurs films !!!

alulu
01/04/2021 à 18:42

Pour ceux qui n'ont pas Netflix, il me semble qu'il est présent sur la plateforme gratuite Mango sur l'appli Molotov.

Brady
01/04/2021 à 18:10

J'ai découvert ce film ado et l'ai revu plusieurs fois, je l'ai même acheté en DVD il y a quelques années. Je ne l'ai pas revu depuis longtemps.
Alors que j'adore ce film pour les scènes de combats, notamment le moment dans le parc d'attraction et dans la chambre d'hôtel, la variété des décors, il y a un Mickey Rourke plutôt bon au visage pas encore ravagé. Après il est très ancré dans son époque et 25 ans après, ça se voit.
Mais je trouve que c'est un film vraiment fun.

jorgio6924
01/04/2021 à 17:26

Je préfère Piège à Hong Kong pour sa bêtise assumée et son sous-texte virulent.

Mais les dialogues "Le dernier qui s'est foutu de mes cheveux, je lui ai carré la tête dans le cul jusqu'au poumon" "Ouais. Ta vie sexuelle j'en ai rien à cirer" me font bien apprécier ce film.

alulu
01/04/2021 à 16:19

Poisson d'avril....Tout le monde adore ce film. Super pas crédible ces fausses déclarations de NYT et EW.