West Side Story : et si l'échec n'était pas (que) de la faute de Disney ?

Mathieu Victor-Pujebet | 20 février 2022
Mathieu Victor-Pujebet | 20 février 2022

Le nouveau film du légendaire Steven Spielberg, West Side Story, a été un monumental flop au box-office mondial. Tentative d'explication.

En mars 2014, un certain Steven Spielberg partage pour la première fois son désir de mettre en scène une nouvelle adaptation de la comédie musicale de 1957, West Side Story, après un premier film de Robert Wise et Jerome Robbins réalisé en 1961. La 20th Century Fox se démène alors pour acquérir les droits, mais ce n'est qu'en juin 2019 que le tournage du film commence réellement, principalement à New York.

Le clap de fin a eu lieu trois mois plus tard, pour une sortie prévue en décembre 2020. Mais la pandémie de COVID-19 en a décidé autrement et c'est un an plus tard, le 10 décembre 2021 aux États-Unis et le 8 en France, que le long-métrage est sorti exclusivement au cinéma. Mais après des semaines et des semaines d'exploitation, le dernier film du génial cinéaste derrière E.T. l'extra-terrestreJurassic Park et Minority Report a été un monumental échec.

En effet, d'un budget de 100 millions de dollars, West Side Story n'a même pas réussi à en tirer 65 millions de recettes. Que s'est-il passé ? Qui est le fautif dans ce désastre financier à peu près aussi injuste que le film est brillant ?

 

 

DARK MICKEY

Une des hypothèses les plus évidentes : le studio Disney - qui a annoncé racheter la 20th Century Fox fin 2017, avec une signature finale début 2019 - a sacrifié le succès du long-métrage pour faire de la place à son mastodonte Spider-Man : No Way Home, sorti une semaine plus tard aux États-Unis comme en France.

Et pour cause, dans une période pandémique qui étouffe le succès d'une grande partie des films qui sortent au cinéma, se retrouver face à l'évènement populaire qu'est le nouveau film Spider-Man était évidemment une épine dans le pied d'un éventuel succès économique. Notons également que West Side Story n'a été diffusé que dans 2 820 cinémas lors de son démarrage, soit la moyenne plutôt basse pour ce qui est d'une oeuvre qui se veut grand public : une volonté de garder un grand parc de salles pour No Way Home ?

Pas nécessairement. Dans quelle mesure est-ce vraiment dans l'intérêt de la firme d'envoyer au bucher des films estampillé Fox, qui peuvent potentiellement rapporter aussi, juste pour imposer sa marque ? La question mérite de se poser, mais la place qu'occupe le géant aux grandes oreilles dans l'industrie avec ses rachats et le poids de ses énormes franchises (entre autres : Marvel, Star Wars, Pixar) pourrait exalter notre envie de pointer du doigt les agissements cyniques d'une multinationale qui pense avant tout à la rentabilité et non à la création. 

 

West Side Story : photoVraiment la faute du grand méchant studio ?

 

Mais essayons de prendre du recul. Le choix de sortir West Side Story en face de Spider-Man pourrait certes sonner comme un rite sacrificiel sanglant, mais aussi comme une sortie de fin d'année toute naturelle dans une logique de diffusion en vue de la cérémonie des Oscar de 2022. Par ailleurs, cela faisait un an qu'à cause de la pandémie, le film attendait bien sagement d'être projeté sur grand écran.

Or, à force de retarder la sortie d'un long-métrage coutant énormément d'argent, la moindre fenêtre d'exploitation est une opportunité en or, quand bien même le concurrent porterait un costume d'araignée rouge et bleu. Peut-être même, surtout si le concurrent est un film de super-héros : sommes-nous bien certains que les spectateurs de No Way Home soient les mêmes que ceux de West Side Story ?

Le film Marvel a-t-il donc nécessairement empiété sur le potentiel d'attractivité du film de Spielberg ? Et quand bien même, Disney semble avoir pris en compte dans sa stratégie la place qu'allait prendre son spider-poulain comme en témoignent les accords signés par le studio avec des exploitants de salles - relevés par Variety - pour maintenir West Side Story sur les écrans au moins jusqu'au Nouvel An. Cette façon de jouer la carte du long terme montre bien que Disney n'allait pas complètement se débarrasser de tonton Spielberg comme ça.

 

West Side Story : photo, Rachel ZeglerMême modernisé, le retour de West Side Story n'a pas trouvé son public

 

Qu'est-il (alors) arrivé à baby Spielberg ?

Mais si l'empereur aux grandes oreilles n'est pas l'unique responsable de ce Titanic sur claquette : que s'est-il réellement passé ? Là encore, difficile à dire. Il était question plus haut des différentes catégories de publics, classées par âges : admettons que les moins de 40 ans forment la plus grande partie des fans du tisseur de toiles, et les plus de 50 ans le public le plus sensible au retour de West Side Story, est-ce que cette deuxième catégorie de spectateurs est réellement retournée au cinéma depuis la réouverture des salles l'année dernière ?

Selon une étude sur les fréquentations des cinémas aux États-Unis menée par le centre de recherches sur le septième art, Quorum, et datée de novembre 2021, 44% des plus de 50 ans disent se sentir en sécurité dans une salle de cinéma. Il s'agit donc de moins de la moitié des spectateurs de cette tranche d'âge, en sachant que, selon un article de Variety, 26% des tickets vendus au démarrage de West Side Story ont été achetés par des plus de 55 ans - contre 21% pour la seconde tranche d'âge, les 25-34 ans.

Le public du film de Steven Spielberg est donc défini, et force est de constater que l'appel du film n'a pas traversé le mur pandémique qui le séparait de ses spectateurs.

 

West Side Story : Photo Ariana DeBoseLes comédies musicales ne plaisent plus ?

 

Mais si ce facteur covidié est évidemment essentiel, il ne peut cependant pas être la seule raison de ce désastre économique. En effet, d'autres facteurs plus difficilement mesurables se conjuguent à cette problématique. Dans un premier temps, dans quelle mesure la relativement longue durée du film a pu influer sur son attractivité auprès des spectateurs ? En effet, voir presque 2h40 de long-métrage de comédie musicale - sans Tom Holland, ni Thanos - ne fait plus spécialement partie des habitudes de la majorité des spectateurs.

Évidemment, cela reste un facteur très flou et difficilement mesurable, surtout face à des blockbusters toujours plus longs qui ne font pas moins d'entrées pour autant - bien au contraire. Serait-ce alors le côté comédie musicale qui aurait rebuté les spectateurs ? L'énorme crash de Cats en 2019 et plus récemment les échecs de D'où L'on Vient et de Cher Evan Hansen peuvent laisser supposer que les spectateurs américains sont lassés de ce genre qui ne fait plus du tout partie des canons de l'époque.

Mais ce serait sans compter les succès de La La Land, de The Greatest Showman, du Retour de Mary Poppins et de A Star is Born. Là encore, difficile de faire une généralité. Il en est de même pour d'étranges paramètres tels que l'attractivité du casting (la collection d'interprètes reconnus de Nightmare Alley n'ayant pas plus attiré le public que les nouveaux visages de West Side Story) ou bien l'impact du report d'un an sur l'intérêt général des spectateurs pour le film (Dune et Mourir peut attendre ayant été de relatifs ou jolis succès au box-office).

 

West Side Story : Ansel ElgortAnsel Elgort qui cherche les spectateurs de West Side Story

 

LA FIN DES AUTEURS ?

Une chose est sûre : West Side Story a été un échec monumental. Et au grand dam des cinéphiles, quelques autres films de grands auteurs ont eu un destin tout aussi funeste en salles lors de ces derniers mois. Nous pouvons citer évidemment Le Dernier duel de Ridley Scott (100 millions de dollars de budget, à peine plus de 30 millions de recettes dans le monde) et Nightmare Alley de Guillermo Del Toro (60 millions de budget, même pas 30 millions récoltés).

Les deux cinéastes ont eu entre leurs mains un budget relativement conséquent - pour l'exigence des projets - qui est loin d'avoir eu un retour sur investissement convenable, et ce malgré leur renommée. Il en est de même avec des films aux budgets plus modestes, mais toujours dirigés par des réalisateurs maintes fois célébrés tels que Clint Eastwood et son Cry Macho (33 millions de budget et 14 millions de recettes dans le monde), ou encore Paul Thomas Anderson et son Licorice Pizza (budget de 40 millions et 20 millions de recettes dans le monde, même si c'est plutôt habituel pour PTA pour le coup).

 

West Side Story : photoLes spectateurs plus intéressés par l'ampleur de la mise en scène du cinéaste ?

 

Force est de constater que ces prestigieux noms n'ont pas attiré les spectateurs dans les salles obscures en 2021. On aurait alors pu croire que celui de Steven Spielberg aurait été capable de sortir du lot ? Et bien même pas : les derniers longs-métrages du cinéaste des Dents de la mer et de La Liste de Schindler ont principalement été rentables grâce au box-office international. 

En témoignent les scores de Ready Player One (137 millions sur le sol américain avec 175 millions de budget, mais 445 millions dans le reste du monde) et du Bon gros géant (55 petits millions au box-office domestique avec un budget de 140 millions, mais 139 millions récoltés dans le reste du monde). Évidemment, les films moins couteux du cinéaste s'en sont mieux sortis, mais ceux-ci n'ont pas non plus dépassé les 100 millions de dollars au box-office domestique - exception faite pour Lincoln et ses plus de 180 millions de recettes.

 

West Side Story : photoAuteurs vs spectateurs

 

Comment donc reprocher à des studios de ne plus donner des centaines de millions de dollars à de grands auteurs pour réaliser autre chose que des énormes blockbusters ? Et encore, même les films à franchise dirigés par des artistes perçus comme tels ne sont pas à l'abri d'énormes échecs, comme le rappellent les flops de The Suicide Squad et de Matrix Resurrections (qui ont toutefois subi la stratégie HBO Max de Warner de leurs côtés).

Comment aussi s'étonner que des cinéastes de renoms cèdent à l'appel des plateformes de streaming pour accéder à des budgets que les studios confient avec de plus en plus de prudence et de réticence ? Quelqu'un d'autre que Christopher Nolan peut-il ramener une grande quantité de spectateurs simplement sur son nom ?

 

West Side Story : Rachel ZeglerLa fin d'une époque ?

 

L'année 2022 sera donc une énième occasion de rendre compte de l'état du cinéma d'auteur occidental, les prochains films, entre autres, de James Gray, Wes Anderson, Alejandro González Iñárritu, Darren Aronofsky et Georges Miller venant pointer le bout de leurs nez. Parallèlement à ça, des noms prestigieux comme ceux de Martin Scorsese, Ridley Scott, David Fincher et Guillermo Del Toro seront au générique de films diffusés et produits par et pour des plateformes de SVoD - ici Apple TV+ pour les deux premiers cités et Netflix pour les deux suivants. Alors à quand l'arrivée de Steven Spielberg chez Amazon ?

On n’espère pas de sitôt, mais l'avenir semble plus incertain que jamais, et pas sûr que le cinéaste réussisse à rameuter le public avec son The Fabelmans en 2022. Son film autobiographique a beau avoir l'air passionnant, il semble très loin des désirs du public actuel et pourrait bien finir dans les limbes du box-office comme West Side Story.

Tout savoir sur West Side Story

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
BushiXiao
28/04/2023 à 10:16

J'ai 59 ans. Dans la cible donc ? Mais non ! Je suis né après 1961. La cible a plutot 75 ans. Je suis ici car j'étudie la musique de Bernstein en ce moment et je me suis souvenu que Spielberg avait fait un remake. Et je me suis dit quelle idée saugrenue ! Cela a du etre un four ! En vérifiant je suis tombé ici. La version d'époque sesuffisait à elle meme. C'est comme si un peintre voulait refaire une Joconde...

BushiXiao
28/04/2023 à 10:14

J'ai 59 ans. Dans la cible donc ? Mais non ! Je suis né après 1961. La cible a plutot 75 ans. Je suis ici car j'étudie la musique de Bernstein en ce moment et je me souvenu que Spielberg avait fait un remake. Et je me suis dit quelle idée saugrenue ! Cela a du etre un four ! En vérifiant je suis tomber ici. La version d'époque sesuffisait à elle meme. C'est comme si un peintre voulait refaire une Joconde...

Jean nenfile
27/02/2022 à 15:51

Je sort de la salle, personnage non binaire, moral pro immigration, et par-dessus le marché, les portoricains sont un amalgame de diversité, (on a mis tout ce qui n'était pas blanc dans la case portoricain)

Pas besoin de chercher plus loin pour savoir pourquoi ça n'a pas marché...

Nathan Lane
23/02/2022 à 17:57

Rakis
A l'inverse de vous, tonton Spielberg me fait encore rêver. Le pont des espions, Pentagone Papers, Cheval de Guerre ou RPO (quelques poncif oui, mais brillamment mis en scène avec des choses plus pertinente et personnel qu'on pourrait le croire.)


Bref, cela reste honteux pour lui et pour les autres grands réalisateurs. Mais le cinéma n'a jamais été une histoire de bon goût (sadly). Même si a une époque on a pu profiter de beaucoup de belles œuvres.

Et on en aura encore...
Malgré la plaie des grands Major et leur yes man.

Flo
21/02/2022 à 13:22

Spider-Man, c'est surtout Sony. Et le Spielberg, un moyen de tester si une contre-programmation auteuriste était possible, en parallèle. On a eu la réponse plusieurs fois cette année 2021 : non, pas dans cette période...
L'année suivante peut-être ?

Kyle Reese
21/02/2022 à 13:18

@JR

J’adore Banderas en roue libre dans ce film avec cette VF fabuleuse. Lol

@Chris11

T’inquiète on peut tous être parfois un peu excessif. Merci pour tes précisions et ton avis plus approfondi et nuancé sur la question.
On vit une drôle de période. ;)

Chris11
21/02/2022 à 13:09

@KyleReese : mon avis n'est pas aussi tranché que j'ai pu l'écrire, désolé si tu l'as pris pour toi ce n'était pas le but.
Je voulais juste expliquer que plusieurs sites et podcasts s'enflamment et palabrent depuis quelques semaines sur l'échec d'une poignée de films bien notés et sur le succès incroyable de Spiderman No Way Home qui est clairement une bouse (et je suis fan de Marvel, mais j'attends toujours un film potable du MCU depuis le dernier en date qui était Infinity War).
Ce sont des épiphénomènes qui ne méritent pas autant d'attention. Je pense clairement qu'il n'y a pas de quoi en faire 10 tonnes de palabres, le seul point à retenir est que depuis 2 ans et la pandémie, les gens vont moins au cinéma (les ponctuels comme les réguliers) et que les gens font un choix. Qu'ils se disent qu'un MArvel est forcément à voir me désolé, car chez Marvel, il y a du bon voire du très bon, et aussi du très mauvais.
En l'occurrence, un remake d'un film déjà excellent, Spielberg ou pas, n'avait selon moi que peu d'intérêt. Et ça ne remet pas en cause la qualité du film.

Eddie Felson
21/02/2022 à 12:35

@the insider38
"Tu vois, le monde se divise en deux catégories: ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi tu creuses."

JR
21/02/2022 à 11:17

Il y a aussi la version Assassins (que je préfère) "Tant qué tou Sela là, jé né sélais yamais lé noumélo ouno !"

The insider38
21/02/2022 à 10:50

@eddie felson

Petit , tu es doué , très doué.. mais tant que je serai là tu ne seras jamais que le second.

Plus