12 Minutes : test qui remet les pendules à l'heure

Antoine Desrues | 27 août 2021 - MAJ : 24/07/2022 22:48
Antoine Desrues | 27 août 2021 - MAJ : 24/07/2022 22:48

Depuis sa première annonce en 2019, 12 Minutes n'a cessé d'attiser la curiosité des joueurs, grâce à son concept alléchant. Sur la base d'un point and click en huis clos, nous voilà dans la peau d'un personnage contraint de revivre en boucle les mêmes douze minutes, tout en cherchant à comprendre pourquoi un mystérieux policier prend d'assaut son appartement. Mais entre son casting vocal luxueux et ses ambitions narratives, le jeu de Luis Antonio tient-il toutes ses promesses ?

Critique sans spoilers.

Fenêtre sur psychose

Au lancement de 12 Minutes, le protagoniste, sans nom et sans visage, se dirige tranquillement vers son appartement, unique décor dont il ne se sait pas encore enfermé. Dans le couloir, la moquette n'est autre que la suite d'hexagones recouvrant l'Overlook Hotel de Shining.

Avec cette référence explicite, à laquelle on pourrait greffer les inspirations évidentes de Fenêtre sur courMemento et Un jour sans fin, le thriller interactif de Luis Antonio impose dès ses premiers instants ses référents cinématographiques, dont le panache est d'ailleurs souligné par l'incarnation de ses trois personnages principaux. Tandis que les corps sont réduits à de simples animations, 12 Minutes parvient à leur donner vie grâce aux voix de son casting hollywoodien, composé de James McAvoy (notre avatar), Daisy Ridley (la femme du héros) et Willem Dafoe, ce dernier tirant son épingle du jeu dans le rôle d'un inquiétant policier vengeur.

 

photoUne bonne soirée en perspective

 

Cependant, passée la surprise des premiers "loops", et de l'enquête qui se profile pour le joueur, 12 Minutes déçoit quelque peu, et ce en grande partie à cause de ses promesses d’œuvre prestigieuse nourrie par le septième art, qui ont grandement servi à sa communication. Reste que le jeu, édité par les petits génies d'Annapurna, est tout de même une proposition indépendante aux moyens modestes. Ses ambitions dissonent donc rapidement avec la réalité de son développement, à commencer du côté de la fluidité de l'expérience.

En effet, vu l'urgence du laps de temps très court laissé au joueur, 12 Minutes incite à des expérimentations rapides avec l'environnement qui entoure le héros, permettant au fur et à mesure de récolter des indices, de provoquer les bons enchaînements d'événements, mais surtout de débloquer de nouvelles boîtes de dialogue entre les personnages. Néanmoins, si l'on est prêt à accepter la rigidité presque comique des animations corporelles, le jeu se montre tout aussi laborieux dans l'agencement de ses phases de parole.

 

photoLe calme avant la tempête

 

Quand bien même ses acteurs se donnent à fond, 12 Minutes n'offre finalement que peu de fluctuations selon l'ordre dans lequel le protagoniste choisit d'interagir avec sa femme ou le policier. Les segments enregistrés sont clairement scindés les uns par rapport aux autres, au point d'ailleurs que certaines intonations sembleront jurer avec les actions du joueur.

Certes, certains choix entraînent des conséquences logiques (par exemple, si vous arrivez à convaincre votre femme de votre situation, son choc l'obligera à refuser de manger avec vous si vous lui proposez), mais l'ensemble demeure trop décousu, quitte à amoindrir l'immersion et l'émotion d'un scénario pourtant chargé en rebondissements.

D'ailleurs, si l'écriture de Luis Antonio possède quelques beaux élans tragiques, le concept de 12 Minutes soutient finalement une narration assez décevante, dont les tenants et aboutissants se révèlent bien moins compliqués qu'ils ne le voudraient. Sans vouloir spoiler les éléments majeurs de l'intrigue, il faut préciser que la retenue d'informations se montre parfois assez artificielle, jusqu'à la révélation assez capillotractée de son ultime twist, digne d'un mauvais Shyamalan.

 

photo"Maintenant je vous laisse visiter la salle de bain..."

 

À la poursuite de demain

Pour autant, malgré ses défauts évidents, la proposition de Luis Antonio possède de très belles idées. À vrai dire, c'est même en faisant son deuil de ses ambitions cinématographiques un peu pompeuses et survendues que 12 Minutes éclot soudainement grâce à son épure. Au-delà de son unité de temps restreinte, c'est dans le minimalisme de son espace de jeu que l'idée de Luis Antonio brille le plus. Trois pièces sobrement meublées, voilà tout ce que possède le héros et sa femme, sans photos de famille ou autres éléments qui donneraient au lieu un cachet personnel.

Cet aspect rudimentaire limite non seulement le point and click à une poignée d'objets utilisables par le joueur (mais qui offrent pour beaucoup de nombreuses possibilités d'utilisation) mais reflète également la profonde tristesse du titre. Le foyer y est perçu comme une illusion, et comme une simple prison des secrets de l'autre, mettant à mal un couple à l'amour pourtant sincère. Le choix brillant de l'angle zénithal comme point de vue souligne d'ailleurs ce normativisme, en privant ses personnages d'une vue sur leur visage.

 

photoJour de la marmotte

 

Mais surtout, 12 Minutes résonne profondément avec notre actualité résignée, et la situation de millions de personnes qui ont dû s'habituer à rester cloîtrées chez elles. Si le principe de la boucle temporelle s'accorde volontiers avec une certaine idée d'un quotidien répété ad nauseam, il interroge aussi la place dans nos vies dans ces murs qui accueillent notre intimité. Nous les croyons marqués par notre histoire, alors même que nos souvenirs, aussi heureux ou tragiques puissent-ils être (l'annonce de l'arrivée d'un bébé, un meurtre...) s'effacent avec le temps, ou à chaque rembobinage du loop dans le cas du héros.

Luis Antonio traite ainsi la boucle temporelle comme une donnée claustrophobe, enfermant son personnage dans l'enfer, mais aussi le confort, d'une vie dont il est possible de revivre les meilleurs instants, ou d'en corriger les pires. Sur ce point, 12 Minutes a d'ailleurs le mérite de prendre en compte un nombre assez conséquent de possibilités d'actions, menant à diverses fins, pour certaines bouleversantes. Certes, l'ensemble ne réinvente pas la roue comme il aurait aimé le prétendre, mais il rejoint, avec des jeux comme Hades ou des films comme Edge of Tomorrow, une réflexion douce-amère sur la répétition et l'oubli, avec pour personnages des Sisyphe modernes en quête d'échappatoire.

12 Minutes est disponible depuis le 19 août sur PC, Xbox One, Xbox Series X/S, et via le Xbox Game Pass.

 

photo

Résumé

Si 12 Minutes échoue à être le thriller novateur et luxueux qu'il prétendait être, il n'en reste pas moins une proposition dont l'étrangeté lui permet d'emprunter quelques embranchements dramatiques fascinants.

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commentaires
GTB
28/08/2021 à 01:14

thierry A> Le mec était seul sur le plus long du développement. Et oui, faire un jeu c'est long.
Le game-design de 12 Minutes trouve ses limites mais il a le mérite d'avoir tenté quelque chose. Heureusement que l'indé est là pour ça.

thierry A
27/08/2021 à 21:00

6 ans de développement pour ça...

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