Test Forspoken : pourquoi c'est une totale déception (et l'anti-Elden Ring)

Léo Martin | 13 février 2023
Léo Martin | 13 février 2023

Nouveau jeu de Luminous Productions (studio derrière Final Fantasy XV) et nouvelle franchise AAA pour Square EnixForspoken a été conçu pour être un vent de fraîcheur dans l'univers des RPG open-world, et dépoussiérer un peu sa formule. Une jeune femme paumée, du nom de Frey Holland, se retrouve téléportée dans un monde de fantasy en péril, et doit s'en improviser l'héroïne. Après tout pourquoi pas ? Pourtant, malgré toute sa bonne volonté, Forspoken semble déjà destiné à l'oubli. 

We're not in brooklyn anymore

Avant même sa sortie, Forspoken avait déjà rompu le charme. Dès décembre 2022, une démo gratuite avait donné l’occasion à de nombreux curieux de découvrir son potentiel, et rien de très excitant n’en était ressorti. Hormis un sympathique gameplay de parkour dans des décors en ruine, les premiers échos étaient plutôt tièdes à son sujet. Néanmoins, les plus optimistes d’entre nous avaient quand même envie d’y croire un peu. Vu de loin, on soupçonnait que Forspoken puisse être une agréable surprise, malgré toutes les réticences l'entourant.  

À présent, l’heure du constat est arrivée : si potentiel il y avait sans doute, bonne surprise il n’y a pas. Maintenant, nous sommes quelque temps après la sortie du jeu et la désillusion est plutôt entendue. Le but n’est donc pas de se joindre gratuitement au lynchage du jeu et de revenir sur ce qui a déjà été dit (même si on ne pourra pas ne pas évoquer les problèmes évidents du jeu). En revanche, il reste intéressant de voir pourquoi Forspoken échoue à être le bon jeu qu’il aurait pu être. En commençant par son premier gros défaut : une narration calamiteuse. 

 

Forspoken : photoOn vient de se réveiller... il faut lancer Forspoken

 

Dans un médium aussi polymorphe que le jeu vidéo, il existe une infinité de possibilités pour raconter une histoire. Le gameplay et le game design d’un jeu peuvent, par exemple, participer à créer ou développer un récit. Le parti pris de Forspoken n’est malheureusement pas d’utiliser les caractéristiques de son médium pour investir les joueurs dans sa narration. À la place, il se contente d’imiter un film. Un long-métrage d'ailleurs un peu trop long qui démarre comme un téléfilm de Noël et se termine comme le plus oubliable des Marvel de l’année. 

Pourtant, quand Frey Holland débarque à Athia (le fameux monde de fantasy où elle est transportée), on a d’abord l’impression que l’on va avoir le droit à un Magicien d’Oz nouvelle génération. On a une jeune femme déboussolée désirant retourner chez elle ; quatre magiciennes (dont la première fait une méchante sorcière de l’ouest très convaincante) ; et même un compagnon en métal... qui aurait bien besoin d’un cœur. Avec du recul, c’est presque cet étrange hommage (involontaire ou non) au roman de Lyman Frank Baum qui est le plus charmant dans ce début de Forspoken. Tout ce qui vient après n’est que du gâchis. 

 

Forspoken : photo"Salut."

 

Contrairement à ce qui a souvent été dit, le personnage de Frey est bien loin d’être le principal souci du scénario. Elle n’est pas particulièrement originale, mais reste une protagoniste attachante. Par ailleurs, l’actrice Ella Balinska (qui a récemment défendu son personnage face aux mauvaises critiques) se débrouille honnêtement dans le rôle. C’est plutôt du côté de son développement que ça pêche. On est ici à des années-lumière de la sublime transformation du personnage d’Amicia de Rune dans Plague Tale. Frey est beaucoup trop attaché aux codes de son voyage initiatique cliché qui l'empêche sans cesse d'évoluer en profondeur.

Ce n'est pourtant pas faute d'essayer de lui écrire une histoire tragique et de nous faire vivre diverses scènes censées nous faire tirer la larme, mais toujours trop artificielles et gros sabots. C’est bien dommage que l’évènement le plus émouvant de Forspoken arrive au tout début de son histoire (impliquant un chat – mais là c’est trop facile, aussi) et ne soit jamais égalé par la suite. Notre Magicien d’Oz next-gen vient donc se vautrer dans des complexités inutiles, des détours agaçants et des twists soit trop prévisibles, soit très mal venus. Mention spéciale pour la révélation du méchant final qui vient gâcher la relation plaisante entre deux personnages, dans le jeu.

 

Forspoken : photoLe meilleur personnage du jeu

 

Pas très frey ce jeu

De là, donc, survient notre principal souci avec Forspoken : à force d’employer toutes ses forces à être un mauvais film, il en devient un mauvais jeu. On ne dit pas qu’un jeu avec une mauvaise histoire ne peut pas être bon quand même (les fans de Kojima savent bien que si), mais en l’occurrence cela va au-delà de ça. Le gameplay de Forspoken regorge de chouettes trouvailles, d’une bonne énergie et possède un réel potentiel. Mais il ne suffit jamais à nous donner une bonne expérience globale, tant il est constamment saboté par le jeu et par son scénario dix fois trop intrusif !

Durant sa première dizaine d'heures, Forspoken décide d’embourber le joueur dans un flot insoutenable de cinématiques. Celles-ci ne cessent de couper l'action et de détruire la fluidité du récit au profit de séquences de dialogues succédant les unes aux autres. Pour finalement embrasser un peu la liberté que l’open-world est censé nous promettre, il faut ainsi encaisser une exposition interminable. Finalement, lorsque l’on arrive dans les premières phases d’exploration... le jeu se révèle toutefois plus agréable.

 

Forspoken : photoAllez ! Après trente heures de jeu, on reprendra bien un peu d'exposition

 

La mécanique de parkour à haute vitesse (évoqué plus tôt) est sans doute l’idée la plus jouissive de Forspoken. C’est bête à dire, mais cette capacité qui est donnée à Frey assez tôt dans le jeu, est probablement l'outil narratif le plus pertinent pour nous attacher à la jeune héroïne venue de Brooklyn. Avec la possibilité de distancer les ennemis comme si de rien n'était ou de traverser les zones sans jamais ressentir le besoin d’avoir une option de voyage rapide, on apprécie davantage notre protagoniste tout en saisissant son écriture de façon plus subtile. 

Le personnage de Frey, caractérisé par sa soif de liberté, de voyages et son esprit vif, est bien mieux illustré par cette dimension du gameplay que par les tonnes de dialogue avec lesquels on nous accable le reste du temps. Une fois passée la grisante découverte de nos bottes de sept lieux vient une nouvelle déception, celle de l’open-world. Si celui-ci est plutôt beau de prime abord, il est surtout très peu diversifié et affreusement générique. Hormis quelques bastons redondantes avec des monstres, des mini-donjons et des activités annexes très dispensables, absolument rien ne nous pousse à jouer les aventuriers.

 

Forspoken : photoBienvenue dans la seule ville du jeu

 

dans le ring avec from software

Résultat des courses : on utilise notre technique de déplacement rapide pour aller d’un point A à un point B, afin de faire avancer l’histoire principale puisqu’il semble que ce soit la seule chose qui intéresse le jeu. Les heures défilent et le scénario de Forspoken continue de dérouler lourdement sa mythologie, sans jamais laisser la chance au joueur de se l’approprier. Et à mesure que le temps passe, on est frappé par un éclair de lucidité : Forspoken échoue exactement partout là où Elden Ring a réussi. 

Sorti l’année dernière à la même période, le dernier jeu de From Software proposait un open-world gigantesque en confiant absolument toute sa narration à son game design et à la soif d’exploration du joueur. Une idée brillante qui permet de déployer une mythologie gigantesque, sans jamais expliciter quoi que ce soit. Une leçon de narration via le médium vidéoludique qui nous offre ici le contre-modèle parfait afin de comprendre ce qui cloche dans Forspoken

 

Forspoken : photoJouer les Hermès aura quand même été un vrai plaisir (pendant deux heures)

 

Le jeu de Square Enix aurait pu être bon. Il aurait pu mettre toute la polyvalence de son système de combat, sa direction artistique parfois inspirée, et sa liberté de déplacement au service d’un jeu passionnant. Malheureusement, il synthétise, en ce début 2023, tous les problèmes des RPG open-worlds récents. Il est un anti-Elden Ring car il n’est jamais assez généreux et audacieux pour laisser au joueur la chance de se faire sa place dans son monde. Et le jeu de From Software a justement brillé pour avoir réhabilité l'open-world en le construisant avec cette idée précise en tête. 

De son côté, Forspoken ne fait pas assez confiance à son médium et cherche trop à être un film de divertissement ultra standard – ce qui vient amoindrir toute sa diégèse en plus de rendre son gameplay assez vain. Il aurait probablement gagné à être un jeu plus court, linéaire et mieux écrit (quitte à privilégier les cinématiques et une narration classique) ; ou à totalement embrasser son gameplay de parkour dans un vaste monde fait pour l'exploration. En tous les cas, il aurait certainement fallu faire un choix entre les deux.

Alors que Hogwarts Legacy vient juste de débarquer avec un open-world qui semble cent fois plus attrayant, Forspoken semble déjà sur le point d'être jeté aux oubliettes. Preuve qu’il est la relique d’une formule AAA fatiguée et fort mal conçue (très appréciée chez Ubisoft) et qui gagnerait à disparaître.

Test effectué sur PC. Forspoken est disponible sur PC et PS5 depuis le 24 janvier 2023

 

Forspoken : photo

Résumé

Forspoken a pour principale qualité de nous rappeler à quel point Elden Ring tenait du génie. Sacrifiant sur l'autel d'une mauvaise narration tout l'intérêt de son gameplay, il est en devient un objet vidéoludique oubliable et la synthèse de tous les open-worlds fades auquel on a eu droit cette dernière décennie. C'est bien dommage, car on aurait voulu apprécier cette nouvelle franchise et sa sympathique héroïne. 

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commentaires
Cinégood
15/02/2023 à 15:20

@LeConcombreMoisi
Dans TLOU2, c'est justement ce que je reproche au jeu. A aucun moment j'ai adhéré au personnage d'Abby et à sa pseudo évolution. Exemple : on ne sait pas pourquoi elle aide soudain les deux personnes qu'elle croise (j'ai oublié de quelle faction ils faisaient partie) quitte à se retourner contre son camp. C'est incompréhensible alors qu'elle est censée être une des leaders.
J'ai trouvé Abby antipathique au possible et bien que la raison de sa vengeance soit compréhensible, elle reste un personnage très bas du front.
J'ai détesté jouer ses parties de l'histoire. Je n'avais qu'une hâte : de la butter avec Elie.
Attention SPOILER
Mais voilà, il fallait une fin "bienveillante" pour faire plaisir aux bien pensants. Pas de véritable intéractivité, c'est vraiment dommage. Dans le premier volet, on avait au moins l'impression de faire un vrai choix moral à la fin, mais là, rien, c'est guidé, ça nous dit clairement quoi penser. Grosse déception pour un jeu dont le gameplay n'a pas évolué entre les deux opus et qui est en vendu sur son scénario...

PS : pas d'avis pour Forspoken, le jeu ne m'attire pas et j'ai encore quelques Open Worlds à poncer !

Mikawelll
15/02/2023 à 07:05

Kojima ? Mauvaises histoires ?
Cessez d'essayer d'être subversif ou de faire croire que vous connaissez votre sujet, merci.

Deyalesca
14/02/2023 à 15:31

Il faut vraiment être un imbécile pour spoiler The Last Of Us 2...

LeConcombreMoisi
13/02/2023 à 19:47

Le personnage principal n’est pas du tout attachant : elle se moque de tout le monde et de tout en permanence.
Elle se fiche également de tous ceux qui l’aident dans le jeu.
Rarement vu un personnage aussi antipathique.
Forcément ça donne pas envie de jouer avec.
Lorsque Joël se fait tuer par Abby dans last of us 2, l’écriture chiadée du jeu permet, au fur et à mesure, de nous rendre attachante une femme qui a tué notre anti-heros préféré.
On est à des milliers d’années lumière de Forspoken.
Bref…

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