La Corde : critique de la série cauchemardesque d'Arte

Camille Vignes | 10 janvier 2022 - MAJ : 10/01/2022 14:23
Camille Vignes | 10 janvier 2022 - MAJ : 10/01/2022 14:23

Composée de trois épisodes (disponibles en replay sur le site d'Arte et diffusés dès le 27 janvier sur la chaîne Arte), la mini-série La Corde de Dominique Rocher et Eric Forestier était plus qu'intrigante, avec son équipe de scientifiques qui enquête sur une mystérieuse corde qui s'enfonce dans la forêt. Après La Nuit a dévoré le monde, le réalisateur continue à réinterpréter les codes cinématographiques pour proposer ici un thriller aux accents de concert métaphysique, porté par Suzanne ClémentRichard Sammel ou encore Jeanne Balibar

FRUIT DÉFENDU

Tout commence avec une corde, sinuant au milieu de la forêt, courant entre les arbres, sans fin. Ce n’est pas un corps, un crime, une situation inquiétante en soi qui éveille la curiosité d’autres personnages de la minisérie, ou les débuts d’une enquête qui lance l’intrigue sur le chemin de la mort et des rebondissements terrifiants, mais simplement cette corde. C'est l'élément perturbateur original, sorte de monolithe servi en pâture à des scientifiques bien trop curieux, avides d’explications et de connaissances, toujours partants pour percer les mystères qu’ils croisent sur leur route.

Tout commence donc avec cette simple corde, une perturbation dans la normalité de cette forêt norvégienne qui aurait pu rester anecdotique si elle n’avait pas été trouvée par un groupe de scientifiques sous pression, sur le point de faire la « moisson » de données astronomiques qui devrait leur permettre de confirmer ou non la théorie des « Répéteurs », mise à jour par Bernhart et sa compagne Agnès.

 

 

Avec ce drôle de concept, tiré des pages écrites par Stefan aus dem Siepen dans son roman Das Seil (La Corde), Dominique Rocher et Eric Forestier interrogent autre chose que la simple curiosité morbide de l’être humain, ou son besoin de savoir, de comprendre. Obnubilés par leur vocation à donner des explications, à s’enfoncer toujours plus loin sur le chemin des découvertes, les personnages abandonnent le microcosme social de leur communauté scientifique européenne, où se côtoient sans peine toutes classes sociales, ethnies et nationalités.

 

La Corde : photoMétaphore d'un cancer

 

Ce lieu de savoir et de co-existence pacifique entre les personnes, leurs disciplines et la nature (puisse-t-elle ici être céleste) construit autour d’un objectif commun et qui en structure sa microsociété, la mini-série le ronge progressivement de l’intérieur. Partie dans la forêt, pour comprendre ce mystère (et certainement se changer les idées avant d’entrer en « moisson »), une poignée de scientifiques se laisse vite habiter par la corde, tissant avec elle quelques relations intimes destructrices : des viscères malades, le non-dit trop bruyant d'un couple, une foi perdue, une rédemption et deuil d'une fille…

Cette attirance inconsciente et pulsionnelle pour la catastrophe explique que les personnages ne font jamais demi-tour. Qu’ils préfèrent mourir, sombrer dans l’inconscience, la foi aveugle, la folie, la psychose et même tuer, plutôt que d’abandonner en route. Toute l'action est muée par la curiosité et l’envie, le besoin morbide de « savoir » de cette galerie hétéroclite de personnages. Vite, cette corde n’est donc plus simplement l’image de la connaissance, ou de la volonté de savoir des personnages, mais celle d’une humanité à la dérive, avide, incapable de s’arrêter ou même, de faire demi-tour.

 

La Corde : photo, Suzanne ClémentAgnès, parfaitement interprétée par Suzanne Clément

 

LA CORDE DE LA CONNAISSANCE DU BIEN ET DU MAL

Mais la mini-série ne s’arrête pas au motif de corde pour faire peser sur ses personnages le poids de leur curiosité. Elle compose une ambiance lourde et inquiétante, avec des plans longs et lents peu coupés, qui laissent s’installer l’émotion sur les visages de ses acteurs, brillamment choisis par ailleurs.

Elle use d’images où la nature et la culture se contredisent et se répondent ; faisant d’abord de la première un bol d’air frais, avec en fond la menace de la science dans ces immenses radars, avant de renverser complètement ce postulat. L’environnement forestier et celui hyper-technologique et pointu des scientifiques dialoguent sans cesse parce qu’ils réveillent les mêmes pulsions chez les personnages. Et les deux quêtes qui se mènent de front, une scientifique et l’autre métaphysique, sont finalement chacune l’écho de l’autre.

 

La Corde : photoL'humain face à la nature

 

Mais si le découpage en deux temporalités est bien mené, il n’en reste pas moins que toute la partie purement scientifique de la série, qui se passe dans le centre astronomique, est plus faible que celle qui laisse errer ses personnages dans les bois.

Ce qu’elle a à en dire est moins puissant et comparé à la quête existentielle des autres protagonistes, la volonté de réussite des personnages a surtout beaucoup de mal à être vraiment crédible quand elle est enfermée entre ces quatre murs, surtout qu'elle est assaisonnée d'un trio amoureux mal amené et mal utilisé. Et cela n’a rien à voir avec le jeu des acteurs qui, là aussi, reste subtil et réaliste. L'errance dans la forêt éclipse tout, cette moisson tant attendue, l'enquête policière... tout est balayé d'un tel revers de main qu'on en viendrait à regretter que La Corde ne soit pas un simple huis clos sous la canopée norvégienne. 

 

La Corde : photoSympathique conversation au coin du feu

 

D'ailleurs, la composition esthétique de la mini-série ne s’arrête pas à des plans choisis et un tournage en pleine nature éprouvant. Son ton étrange et inquiétant, Dominique Rocher l’a imaginé autour de sonorités particulières. Façonnant une ambiance sonore terriblement efficace faite de beaucoup de silences, un son dur et remarquable dans lequel les dialogues ressortent, réduits à l’essentiel pour leur donner leur profondeur et des accents de vérité remarquables.

Des bruits de forêt venant de ses oiseaux, des cours d’eau et du vent dans les arbres, répondant à ceux, cybernétiques, des ordinateurs de la station. Et une composition musicale lyrique qui s'amuse avec les codes des vieux films noirs, puisqu'ici il n'est jamais question d'être en ville, aveuglé par les phares d'une voiture ou des lampadaires, mais de se perdre soi-même sous la voûte céleste. 

La Corde est disponible en intégralité sur Arte.Tv depuis le 28 décembre 2021

 

La Corde : Affiche

Résumé

Quelques longueurs et défauts empêchent de faire de La Corde un véritable chef-d'oeuvre, mais la proposition de Dominique Rocher est indéniablement originale dans sa maîtrise du thriller, et radicale dans ce qu'elle dit de l'homme et de ses aspirations. 

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Lecteurs

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commentaires
FYLTV
01/12/2022 à 21:55

Un 1er épisode qui donne vraiment envie de continuer. Cette série corde-destin est décevante ou alors, il faudrait qu'elle se poursuive pour philosopher sur les choix que l'on rencontre à la croisée des chemins.

Claude
04/02/2022 à 12:02

Bonjour,
Dans tout ce qui précède je n'ai pas au de réponse à cette question : « Pourquoi le temps n'est pas le même entre ceux de la station et ceux qui sont dans la forêt ».
Je pensais à ces notions d'espace-temps, de mondes parallèles avec la présence de cette station orientée vers le ciel avec la fameuse relativité d'Einstein, mais non, rien de tout cela.
Faut-il ne pas chercher à comprendre et rester sur cette quête de la connaissance ?

Actinium_89
01/02/2022 à 20:11

Cette mini-série, à l'instar de la série LOST, explore les thématiques de la foi, de la destinée et du libre arbitre et questionne l'Homme sur les relations complexes qu'il a toujours entretenues avec la foi et la science, le bien et le mal, le bonheur et le malheur et la volonté irrationnelle qu'il a toujours eue d'aller de l'avant vers l'Inconnu, sans jamais se retourner et au mépris du danger.

L'accent est mis sur la psychologie des personnages et leur motivations personnelles qui les poussent à faire le choix de traverser la faille sous la cascade et à passer de l'Autre Côté.

Au fur et à mesure que se déroule l'intrigue, on observe les changements qui s'opèrent en eux, sous l'effet de l'emprise qu'exerce la corde sur laquelle ils projettent leur peurs et leur espoirs, alors que la partie cachée animale de leur cerveau qui se trouve en chacun de nous prend progressivement le pas sur leur intellect.

Loïc
31/01/2022 à 09:07

j'ai vraiment apprécié cette mini série, cette critique m'a aidé à mettre des mots sur mes questions. Notre quête de savoir, de comprendre à tout pris , correspond à l'évolution de l'espèce humaine, : LA CORDE DE LA CONNAISSANCE DU BIEN ET DU MAL, vivre avec ses questions existentielles, ses contradictions, ses émotions, et avancer malgré tout, car il faut bien vivre. En plus j'adore l'univers forestier attirant, méconnu, reposant et qui peut être angoissant si l'on se perd,... retrouver ses repères, dépasser ses limites physiques , morales, intellectuelles , spirituelles.. superbe

Sylalcop
28/01/2022 à 15:32

Très belle série, déconcertante soit, mais enrichissante et qui pose beaucoup de questions. Je suis en complet accord avec cette critique. Je pense que c'est à chacun de se questionner sur le sens que l'on veut donner à la série. L'avidité de l'humanité pour la connaissance, l'impossibilité du retour en arrière, la quête de l'absolu... les thèmes abordés et mis en scène sont vraiment intéressants. C,'est original et très esthétique, cela en fait une des premières pépites d'ARTE pour cette année 2022.

KLou34
28/01/2022 à 13:55

Tout ça pour ça ? Je n'ai toujours pas compris l'intérêt de cette série (où elle emmène réfléchir) malgré les explications ci-dessus. Et cette ambiance glauque et poisseuse m'a abattue pendant plusieurs heures après...donc vraie perte de temps ! Mieux vaut passer son chemin que suivre cette Corde sans intérêt.

Chacha
28/01/2022 à 12:54

j'ai eu du mal à comprendre mais après la lecture de ces explications, j'ai compris cette fiction

Zzzz
27/01/2022 à 23:25

Soporifique et incompréhensible du début à la fin. Des monologues ennuyeux, les personnages -tous aussi ennuyeux les uns que les autres- parlent pour ne rien dire d’intéressant. Pour "intellectuels fatigués". On a décroché à la fin du 1er épisode, regardé la fin du 2eme et celle du 3eme ; résultat : Grosse perte de temps. A fuir.

catherine
27/01/2022 à 23:13

Pour moi raté complètement raté
Pourtant découvrir le bout de la corde sans fin
princepte alléchant au départ
d'excellents acteurs
et puis arte quand même
plat aucune poésie aucun souffle
déçue

lili
13/01/2022 à 14:21

je trouve la série vraiment nul !!!

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