L'Exorciste : la série sur Amazon partait dans tous les sens (et c'est pour ça qu'elle était bien)

Mathieu Jaborska | 22 octobre 2023
Mathieu Jaborska | 22 octobre 2023

Bien avant Dévotion, Jeremy Slater donnait déjà une suite au classique de William Friedkin sous forme de série. Une série très appréciée, à juste titre.

En bon "legacyquel", le très mauvais L'Exorciste : Dévotion prétend prolonger le chef-d'oeuvre de William Friedkin. Il n'est pas le seul. Avant lui, nombreuses étaient les suites directes à L'Exorciste : le délire baroque tant détesté de John Boorman, la contribution remarquable de William Peter Blatty et même une série, diffusée en 2016 grâce à la Fox.

À l'époque, la création de Jeremy Slater était attendue le crucifix entre les doigts. Mais ce qui ressemblait à un sacrilège est vite devenu un rendez-vous hebdomadaire très suivi, puisque ces deux saisons ont été très bien accueillies, aux États-Unis et en Europe, y compris dans ces colonnes. Confessions d'une des séries horrifiques les plus étonnantes et étrangement délirantes des années 2010.

 

 

Repossessed

Les années 2010 sont celles de la multiplication des séries tirées de films d'horreur. Bates Motel et Hannibal débutent en 2013, Une nuit en enfer, la série en 2014, Scream et Ash vs. Evil Dead en 2015, Damien (tirée de La Malédiction, oui, oui) et Wolf Creek en 2016, The Mist en 2017, The Purge en 2018, What we do in the shadows en 2019. Parmi elles, certaines recyclent paresseusement leur matériau original (Scream), d'autres en profitent pour tirer parti sur le long terme de leurs excès les plus délicieux (l'excellente Ash vs Evil Dead). Et si L'Exorciste avait tout pour appartenir à la première catégorie, elle s'est finalement retrouvée dans la deuxième.

En effet, elle n'est pas née sous les meilleurs auspices. Les détenteurs des droits planifiaient à l'origine une adaptation en une dizaine d'heures du roman de William Peter Blatty, modèle de L'Exorciste. « Je suis venu vers eux et je leur ai dit : “Les gars, c'est une erreur, mais je pense qu'on tient quelque chose. Je pense qu'on tient une série. Si vous pouvez laisser tomber cette idée de remake ou reboot, on peut faire une toute nouvelle histoire avec un tout nouveau casting de personnages qui appartiennent au même univers cinématographique que l'original"» racontait le showrunner Jeremy Slater à Collider.

 

 

Des ambitions louables... venant d'un artiste qui n'inspirait pas forcément plus confiance que ses interlocuteurs. À cette période, Slater n'était pas un inconnu. Scénariste de l'honorable Lazarus Effect, il fut engagé dans la débandade Fantastic Four (déjà sous bannière de la Fox) avant de naviguer entre intéressantes séries B (Pet) et adaptations catastrophiques (Death Note). Rien d'affolant non plus, étant donné que sa version des 4 Fantastiques n'a semble-t-il rien à voir avec le pitoyable résultat final et que sa contribution à Death Note se limite à une ébauche, largement réécrite. Bref, il devait encore démontrer son plein potentiel.

La Fox annonce avoir commandé un pilote en janvier 2016. Pour l'occasion, Slater choisit un réalisateur qu'il estime : Rupert Wyatt. À l'époque, le cinéaste a déjà une belle carrière derrière lui, composée de films indépendants bien reçus et d'un blockbuster parmi les plus curieux du moment : La Planète des singes : Les Origines. Après quelques hésitations, Wyatt les suspectant de vouloir refaire L'Exorciste, il finit par accepter et amène avec lui le chef opérateur Alex Disenhof, qui garantira une cohérence visuelle aux 10 épisodes. Le pari est lancé, reste à le tenir

 

The Exorcist : Photo Geena DavisAvec Geena Davis en guest star

 

Pulp inquisition

Attendue avec méfiance, la série va néanmoins très vite trouver un public dévoué. Et pour cause : l'approche proposée par le scénariste et showrunner fait mouche. Bien qu'elle prétende, comme eux, directement se placer dans le sillage du classique de Friedkin, la série L'Exorciste ne ressemble à aucun des volets de la saga dérivée. Le deuxième plongeait dans le baroque, le troisième revenait au thriller froid et dérangeant et les deux prequels tentaient maladroitement de creuser la mystique originelle de William Peter Blatty.

Rien de tout ça dans la série, qui certes tente de creuser la mythologie derrière Pazuzu, mais s'inquiète beaucoup moins du respect accordé aux codes de la religion catholique. En bref, il s'agit de la seule véritable émanation pulp de la franchise. Il faut toutefois attendre quelques épisodes avant qu'à la faveur d'un twist qu'on ne dévoilera pas ici, les évènements prennent une ampleur amusante, culminant dans une scène de métro gore que ni Friedkin, ni Blatty, ni même John Boorman ne se seraient permis.

 

L'Exorciste : photoPlus efficace que les campagnes anti-harcèlement de la RATP

 

Une fois passé ce stade, Slater et ses collègues lâchent les chiens de l'enfer, enchainant les bonnes idées (le dédoublement de la pupille), les pures visions d'horreur (le mille-pattes dans la gorge, beurk) et les séquences résolument pop (l'onde de choc dans l'eau fraichement bénite du fleuve), pour dépasser le concept original et se lancer dans une histoire de complot démoniaque à grande échelle, menaçant jusqu'aux plus hautes instances du Vatican. Les possédés, autrefois exceptions inquiétantes à la règle des pathologies psychologiques, sont à tous les coins de rue et L'Exorciste embrasse son versant débridé, pour le plus grand plaisir de ses spectateurs.

Évidemment, toutes les grandes figures et thématiques de l'original sont recyclées, puis surgonflées à l'excès. Le duo principal est ainsi une déclinaison exagérée de celui de Blatty. Karras remettait en question sa foi ? Ortega lutte contre ses pulsions charnelles. Merrin était un exorciste expérimenté ? Keane est un guerrier du crucifix tête brulée, excommunié après quelques heures pour avoir menacé son supérieur avec un flingue. Une extrapolation rendue plus savoureuse encore par la performance de leurs interprètes, l'investi Alfonso Herrera et le charismatique Ben Daniels, lequel n'a pas eu la carrière qu'il méritait.

 

L'Exorciste saison 2 : Photo Episode 3Des hot priests qui n'auraient pas déparayé dans Fleabag

 

Une fois l'angle choisi assumé, les auteurs vont mine de rien assez loin dans l'expérimentation, notamment lors de la fin de la saison 2, qui adopte quasi exclusivement le point de vue du possédé le temps de quelques épisodes. Forcément, le résultat est bancal, mais réjouissant. Et grâce aux cliffhanger hyper-efficaces, on se surprend à enchainer... jusqu'à la fin.

 

The Exorcist : PhotoEt on ne parle pas de la Task-force des Nonnes

 

Derniers rites

Car si L'Exorciste a contre toute attente rencontré un certain succès d'estime, elle n'a pas assez fédéré pour échapper à l'annulation brutale. C'est le 11 mai 2018 que la nouvelle tombe : la troisième saison est annulée, faute d'audiences suffisantes. Selon Deadline, la première avait séduit 3,153 millions de spectateurs américains, la seconde 1,937 millions. Toujours à Deadline, quelques mois plus tôt, le patron de la Fox Gary Newman avouait que le transfert sur le créneau du vendredi soir était « dur pour la série. Nous espérions pouvoir attirer le public cinéphile qui ne voulait pas sortir au cinéma... et on a eu un peu de visibilité ».

Pas assez pour la Fox, qui sonne la fin de la récré après un final mémorable. Comme Ash vs Evil Dead, L'Exorciste est condamnée à s'arrêter sur un redoutable cliffhanger, mettant en scène – attention, petit spoiler – rien de moins qu'un appel divin. Une vraie déception pour la base solide de spectateurs, fidèle aux pérégrinations du duo de curés, désormais un authentique tandem de buddy-movie. C'est une ambitieuse aventure qui vient de leur passer sous le nez.

 

L'Exorciste saison 2 : Photo Episode 6Quand il faut faire une croix sur la saison 3

 

Il leur faut se contenter des confidences de Slater à TVLine, faites en pleine tourmente, concernant ses plans pour Marcus et Tomas, à commencer par leurs retrouvailles. « La scène d'ouverture de la saison 3, c'est Marcus qui donne un coup de pied dans la porte et dit : "Tomas, tu me manques."» Le personnage de Mouse, important à la fin de la saison 2, aurait dû jouer un rôle important dans l'intrigue, parmi plusieurs flashbacks.

Enfin et surtout, il était question d'agrandir l'échelle : « Une partie de l'histoire de la saison 3 serait Marcus utilisant ses contacts dans le monde souterrain religieux afin de pister son partenaire disparu. S'il ne peut forcément plus avoir confiance en l'Église, puisqu'elle a été compromise, je pense que ce serait amusant de voir Marcus être obligé d'aller au-delà des frontières de l'Église et parler à certaines personnes qu'il a rencontrées lors de ses 30 ans d'exorcisme. [Des sources] qui propagent des théories du complot, des reliquaires, des choses comme ça... Des Shamans, des rabbins et gens de foi différente qui pourraient se battre contre le même mal à l'aide d'autres terminologies et d'autres méthodologies.»

Des idées ambitieuses... mais mort-nées, qui font d'autant plus regretter la fin de ce sympathique pendant pulp au classique de Friedkin. Comme quoi, c'est en se prenant moins au sérieux qu'on parvient parfois à tirer son épingle du jeu d'une franchise aussi trouble.

Tout savoir sur L'Exorciste

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commentaires
Hdeuzo.
24/10/2023 à 19:31

Pour info, dispo sur prime.

Fred@13
24/10/2023 à 12:40

De bonnes idées dans cette série, qui parvient à ménager quelques séquences bien flippantes, mais trop de religiosité, de longueurs et de passages grotesques à mon sens.

Ben voyons
23/10/2023 à 10:23

Déjà se servir de la série X-Files pour prétendre à un avis négatif, euh okeyyyyy
La saison 2 est supérieure à la précédente !

Cinéma Paranoïaque
22/10/2023 à 19:54

La saison une est bien avec Pazuzu etc.. après c'est un peu xfiles, mais j'aurais bien aimé une autre saison pour conclure pourquoi pas le délire du complot des démons.
Mieux que le film qu'on vient de nous pondre..

galetas
22/10/2023 à 19:47

Je suis mitigé sur cette série. De bonnes idées côtoyant d'autres plus grotesques.