Ferrari : critique du retour en force de Michael Mann sur Amazon

Antoine Desrues | 9 mars 2024
Antoine Desrues | 9 mars 2024

Bien qu’il ait signé le pilote de la série Tokyo ViceMichael Mann a été plutôt absent des écrans depuis le crash financier injuste d’Hacker en 2015. Cette petite traversée du désert nous a fait attendre encore plus impatiemment Ferrari, d’autant que le cinéaste planche sur ce projet fantasmé depuis de nombreuses années. On aurait pu craindre un best-of stratégique de la part du réalisateur de Heat et Collateral, mais il n’en est rien. Son nouveau film, porté par Adam Driver et Penelope Cruz, choisit la forme de l’anti-biopic et de l’anti-film de course. Un risque totalement en accord avec les thèmes du réalisateur, pour une œuvre aussi mal aimable que passionnante.

iron mann

Pourquoi aime-t-on autant le cinéma de Michael Mann ? Peut-être parce que ses effets de style marqués (teintes surréelles de la photographie, musique éthérée, ralentis...) servent une double connexion. Tout d’abord, la connexion du public avec l’univers du film, dans un acte de pur lâcher-prise atmosphérique. Qu’il s’agisse du grain de la pellicule ou du pixel du numérique, les images du cinéaste se mixent et mutent, lancées à pleine vitesse dans un flux permanent d'humains et de marchandises, matérielles et immatérielles. Les voitures foncent dans la nuit, l’argent passe des banques aux mains des braqueurs, et les data voguent de serveur en serveur.

Ce cinéma du passage, d’une fluidité enivrante, cotonneuse et onirique a été joliment décrit par Patrick H. Willems comme un cinéma “de la vibe”, où la sensorialité de l’instant l’emporte sur le récit. Depuis Miami Vice, Mann en a fait sa clé de voûte, au point de l’associer à des scénarios de plus en plus nébuleux. C’est néanmoins dans ces moments suspendus qu'il fascine le plus, et ça s’accorde avec l’autre connexion de ses longs-métrages : celle des personnages avec leur environnement. Ses héros espèrent tous un contrôle, une osmose avec leur monde, que ce soit le territoire urbain de Heat, Collateral et Hacker, ou la nature sauvage de la province de New York dans Le Dernier des Mohicans.

 

 

Ferrari débute pour sa part sur une suite de fondus sur des collines italiennes, avant que l’une d’entre elles ne transite vers le corps endormi d’Adam Driver (bien plus en retenue que dans le pathétique House of Gucci). L’ancien pilote de Formule 1 métaphorise tout un territoire, alors même que son nom dépasse sa simple personne. Dans la veine des protagonistes habituels du réalisateur, Enzo Ferrari est un maniaque obsessionnel qui donne au film son tempo par un montage vif lors d’une session de conduite où chaque cut accentue le passage des vitesses et la maîtrise du véhicule.

Pourtant, c’est l’une des rares scènes où le fondateur de la célèbre marque de voitures de sport sera au volant. Dans sa quête d’une fuite en avant (autre motif mannien), il est contraint à la fixité, limité à théoriser et ressentir à distance la vitesse de ses bolides et des pilotes qui les conduisent. C’est la première “fausse” déception du long-métrage, et son premier coup de génie. Loin du biopic exhaustif sans point de vue, Ferrari se concentre uniquement sur l’année 1957. L’usine de la firme existe depuis déjà dix ans, mais elle bat de l’aile financièrement. Pour cette raison, Enzo mise sur le prestige que pourrait lui rapporter la Mille Miglia, une course dangereuse de 1 000 miles au cœur de l’Italie.

 

Ferrari : photo, Adam Driver, Penelope CruzScènes de ménage

 

Dommage collatéral

À partir de là, la victoire de l’écurie Ferrari semble être l’horizon logique du film. Ce ne sera pas le cas. La ligne d’arrivée n’est qu’une formalité du hors-champ, preuve que Mann s’intéresse avant tout aux limites de son cadre, au fait que sa caméra ne capte finalement qu’un passage, qu’une bribe dans la vie de son protagoniste (on pourrait d’ailleurs reprocher une entrée en matière un poil expéditive). Or, c’est la meilleure manière de refléter les prisons qui l’entravent. Le passé comme le futur s’annoncent lourds à porter et sont tous deux enveloppés par un parfum de mort.

Le centre névralgique du long-métrage se trouve là : dans son étonnante morbidité, couperet qui ne cesse de s’abattre et de hanter ceux qui s’approchent de la figure du Commendatore Ferrari et de son nom. Rarement a-t-on vu Mann aussi sombre et funeste. Jusque-là, on pouvait voir dans ses “vibes” et dans sa peinture immersive des décors la sensation de mondes en constant changement, obligeant les personnages à s’y adapter. La fixité, la sédentarité recherchée par la plupart des héros manniens est un leurre, un piège éphémère que symbolise à merveille Laura (Penelope Cruz), épouse humiliée et résiliente.

 

Ferrari : photo, Patrick DempseySigne du temps qui passe : Docteur Mamour a désormais les cheveux blancs

 

On peut d’ailleurs y voir l’une des raisons qui font des véhicules un élément régulièrement sublimé par le cinéaste. Sauf que dans Ferrari, cette fascination de la mécanique, de la transcendance par la vitesse (magnifiquement représentée par des caméras embarquées, des travellings amples, ou même un effet de distorsion de l’espace merveilleux) est aussi synonyme de danger. Ces quelques secondes de dépassement de soi se payent par le prix fort : un retour des plus terribles au tangible du corps et à la physique terrestre.

L’immobilité, c’est la mort. Le mouvement, c’est la mort. Alors que faire ? Se laisser emporter dans le flux du temps ? Se laisser mourir avec le monde d’avant ? Ou prendre le risque d’aller trop loin ? Peut-être est-ce dû au fait que Michael Mann atteigne lui-même le crépuscule de sa vie, mais la pulsion de mort de Ferrari arbore quelque chose d’à la fois violent et apaisé. Dans cet ensemble de passages et de transitions des vies, la collision est inévitable.

Ferrari est disponible sur Amazon Prime depuis le 8 mars 2024 en France

 

Ferrari : Affiche officielle

Résumé

Dans ce faux biopic aux accents tragiques purement manniens, Ferrari trouve son moteur dans sa surprenante morbidité. Un film étrange, mais passionnant.

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commentaires
Legendeducoin
16/03/2024 à 16:29

Mann un génie du cinéma

redwan78
11/03/2024 à 23:47

J'ai l'impression que les Américains ont un problème à régler avec les Italiens. Cela a commencé avec la maison Gucci. Le film était fade et ne mettait pas en valeur la femme italienne. L'interprétation par Lady Gaga était ridicule. Mais la on atteint le fond avec Ferrari. Il y'a un problème d'âge sur l'acteur. Il a 40 ans, il doit jouer le rôle d'Enzo qui doit avoir la 60taine et c'est limite une parodie ou une caricature d'Enzo. Il était surnommé le Commandatore, quelqu'un de respecté. La on se retrouve dans une histoire de dispute familiale avec encore une fois une caricature de la femme italienne, possessive et jalouse.
Dans Ford vs Ferrari, il y'a peu de passages sur Enzo mais on sent la présence et le charisme. La Adam Driver ,qui est un bon acteur, le singe totalement. Comme dit plus haute, il reste plus qu'à faire un biopic sur l'Avvocato Agnelli. Les américains vont encore massacrer le personnage. Par respect pour l'Italie,ne le faites pas et n'y songez pas.

Morcar
11/03/2024 à 14:36

@Ghob,
A propos de Shalene Woodley, je te conseille de voir "Nos étoiles contraires" (si tu n'es pas allergiques aux drames larmoyants) et Misanthrope, deux films que je possède en BluRay et dans lesquels elle est vraiment très bien. Il y a aussi la série "Big Little Lies" où elle prouve son talent.

Ghob_
11/03/2024 à 09:38

Vu hier et globalement je suis assez d'accord avec l'avis d'Antoine, mais en un peu plus mitigé néanmoins.
Car oui, bien entendu, niveau technique et spectacle, Mann sait toujours y faire et les courses sont particulièrement impressionnantes, remplies d'idées de mise en scène qui nous rappellent pourquoi le réal. est devenu l'icône qu'il est aujourd'hui. Mais c'est vrai que malgré un casting au cordeau, ben ça ne raconte pas grand-chose sur Ferrari lui-même, si ce n'est certaines grandes lignes de sa vie privée. Mais qu'est-ce que ça raconte réellement sur l'homme, sur ses doutes, sur sa place dans l'industrie ou l'héritage qu'il laissera derrière lui ? Il y avait, je pense, beaucoup de choses à dire, mais là en l'état je me suis retrouvé frustré, car même en ne prenant qu'une petite tranche de vie du bonhomme, j'ai eu l'impression que le cinéaste passait plusieurs fois à côté de son sujet (alors que dans la catégorie "plongeon dans la psyché tourmentée d'une grande figure publique", Public Enemies était autrement plus riche et pertinent).
Et c'est franchement dommage, car comme je disais plus haut, le casting est parfait et les acteurs/actrices portent leurs protagonistes à l'écran avec force, même si le réalisateur fait toujours preuve d'une certaine distance/sobriété avec ces personnalités ambivalentes qui le fascinent. Adam Driver est je trouve, parfait dans le rôle du Commandatore, figure Mannienne par excellence, tandis que l'interprétation de haut vol de Peneloppe Cruz lui vole souvent la vedette lorsque les 2 apparaissent en même temps dans le cadre. Dommage que le rôle de l'amante, jouée par Shalene Woodley, soit si peu consistant (et assez peu présent à l'écran, finalement), car j'ai trouvé l'actrice (que je n'ai jamais plus apprécié que ça, je garde encore de mauvais souvenirs persistants de Divergente lol) était ici tout à fait à sa place. Mais là encore, l'ensemble souffre d'une écriture un peu lacunaire, qui ne survole ses thématiques plus qu'il ne les embrasse et j'ai eu du mal à me retrouver dans cet aspect-là du métrage, à m'impliquer auprès des personnages.... (trop de distance tue la distance, certainement).

Alors, nous reste plus que les courses et leur facture technique grisante pour en avoir pour notre argent et là en effet, rien à dire : c'est du pur Mann, viscéral, impactant, sensitif et plus que souvent jouissif, ça en met aussi bien plein la vue que les oreilles (le sound design est particulièrement réussi et participe beaucoup au plaisir immersif de la chose). Mais là encore, petite frustration, car ces séquences ne sont pas aussi nombreuses que ça et malheureusement souvent trop courtes (à l'exception peut-être de la course finale de la Mille Miglia, mais sur un film centré sur une figure emblématique du sport automobile, je trouve que ça fait un peu short quand même).
La scène où le pilote fait des essais sur circuits montée en parallèle avec Ferrari à la messe du dimanche matin est un sacré tour de force technique et restera pour moi l'une des séquences marquantes du métrage. Mais là encore, trop peu de scènes de ce genre-là et légère frustration de ne pas en avoir davantage...

Donc voilà, je reconnais qu'il y a quand même pas mal de qualités dans ce Ferrari, mais aussi de la frustration et quelques occasions manquées.... Avis globalement positif, mais entaché de quelques déceptions et venant d'un réalisateur qui avait pour l'instant réussi un sans-faute (et oui, pour moi Blackhat reste un thriller de très haut vol comme on en voit pas tant), c'est d'autant plus décevant.
Mais nul doute que je reverrais probablement mon avis à la hausse (même légèrement) après un second visionnage... mais qui ne sera pas pour tout de suite !

Morcar
11/03/2024 à 09:19

Je l'ai regardé hier soir après m'être refait les trois meilleurs Mann en BluRay (Le dernier des Mohicans, Heat, Collateral), et si "Ferrari" est sympa, on est quand même bien loin de ce que Mann est capable de faire. C'est très standard, je trouve.

Dutch
11/03/2024 à 03:22

J'ai trouvé le film moyen pour ma part, et encore je suis influencé par le fait que je suis fan de Mann, toutes les scènes de discussions avec la femme aigrie de Ferrari ou sa maitresse m'ont gavé, alors que d'autres personnages comme le pilote Alfonso de Portago sont à peine effleurés, certaines séquences de courses sont assez spectaculaires surtout sur la fin, mais fin malheureusement ultra prévisible, à cause d'un dialogue on comprends toute de suite ce qui vas se passer.. Adam Driver est très bon malgré sa carrure et sa taille. Mais franchement la sauce en effet ne prends pas; je me suis demandé si une mini série n'aurais pas été mieux car là finalement ça ne raconte pas grand chose. Sinon quel intérêt de faire jouer les acteurs avec un accent italien alors que les dialogues sont en anglais.

Terror Turtle
11/03/2024 à 00:46

Ferrari est synonyme de passion, de ferveur.
La course Miglia était la course la plus mythique au monde à l'époque, jusqu'à cette tragique année 57.
Problème : dans ce film on ne ressent ni excitation, ni émotion. C'était la course qui devait sauver Ferrari, le climax du film. Il n'y a aucune montée en pression. C'était également une des courses les plus tragiques de l'histoire. Le film a beau montrer le crash dans une scène particulièrement graphique, rien ne se dégage.

Quant à la partie biopic, le film choisit de s'attarder principalement sur la relation d'Enzo avec sa femme et sa maîtresse. Pas intéressant, enfin pas de quoi en faire le sujet d'un film.
La vie du Commandatore a été particulièrement riche, il y avait donc beaucoup mieux à faire.

Rico
10/03/2024 à 21:04

Grand film neo_classique, manque ce petit quelque chose pour vous emporter totalement mais ça reste un très bon film.

Musashi1970
10/03/2024 à 20:07

Moi aussi je suis un fan de Michael Mann et le voir porter la bio de Ferrari à l'écran était très excitant... Sur le papier. Sans être mauvais cette bio ne prend aucun risque, l'intrigue est assez plate malgré un casting excellent. Adam Driver que je n'aime pas d'habitude est très bon, idem pour Penelope Cruz et Shailene Woodley.... Mais la sauce ne prend vraiment jamais. C'est pas une purge mais c'est assez banal. Ferrari méritait mieux. Mann peut mieux faire.....

MIL
09/03/2024 à 15:23

Film assez oubliable pour moi. Non pas que ce soit mauvais, mais j'ai regardé ce film avec beaucoup de distance. Ça manque d'humanité. Ça joue de façon un peu caricatural. Biopic assez plat. La dernière partie est sympa.

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