Spider-Man 3 : pourquoi c’est la bande-originale ultime des super-héros

Antoine Desrues | 4 avril 2023 - MAJ : 05/04/2023 09:12
Antoine Desrues | 4 avril 2023 - MAJ : 05/04/2023 09:12

Sam Raimi et les super-héros, ça le connaît ! Dans le domaine, peu de musiques de film ont autant marqué que celle de Spider-Man 3. Décryptage.

Avec Doctor Strange in the Multiverse of MadnessSam Raimi ne revient pas seulement au genre super-héroïque qui a fait sa renommée. Il y retrouve certains de ses collaborateurs privilégiés, à l’instar de Danny Elfman, qui a su par le passé sublimer les virevoltantes aventures de l’Homme-araignée avec un lyrisme total.  

Pourtant, on oublie bien souvent que le compositeur attitré de Tim Burton n’a pas accompagné toute la trilogie de Sam Raimi. Suite à une expérience qu’il a jugée “compliquée” sur le deuxième opus, Elfman a décliné Spider-Man 3, qui a été confié à un autre musicien : Christopher Young. Si le bonhomme est connu des cercles béophiles, son travail sur l’ultime Spidey de Tobey Maguire a souvent été réduit à de la belle ouvrage de moine-copiste, agrémenté de quelques nouveautés. Une grossière erreur, qu’il convient de corriger de ce pas.  

 

Spider-Man 3 : photoQu'est-ce que c'est bien quand même !

 

C’est de qui ?  

Sur le papier, Christopher Young n’est musicalement pas si éloigné de Danny Elfman. Son utilisation ample de l’orchestre l’incite depuis ses débuts à des rythmiques martelées (notamment par les percussions et les basses) qui ne sont pas sans rappeler celles du compositeur de Beetlejuice.  

Mais d’un autre côté, Young a pour lui une autre inspiration, qui est à chercher du côté de certains avant-gardistes du XXe siècle comme Krzysztof Penderecki, connus pour leur approche dissonante et dérangeante d’une orchestration qui s’accapare des thèmes plus dépouillés et minimalistes. Ce rapprochement est d’ailleurs loin d’être innocent, puisque Penderecki a grandement nourri l’imaginaire cinématographique de génies comme Kubrick et Friedkin, qui ont utilisé ses compositions sur Shining et L’Exorciste. Avec leurs basses pénétrantes et leurs violons vrillant vers les aigus, c’est tout un langage musical du cinéma d’horreur qui en a émergé.  

 

Christopher Young : photoChristopher Young (et son joli chapeau)

 

Forts de cet héritage, les talents de Young ne cessent de sublimer depuis les années 80 bon nombre de productions horrifiques, d’Hellraiser à Sinister en passant par The Grudge (version américaine). En 2000, l’artiste connaît sa première incursion dans le cinéma de Sam Raimi avec Intuitions, mais c’est Spider-Man 2 qui lui permet de décrocher la composition de sa suite.  

En effet, face aux nombreuses reprises de la musique demandées par Sam Raimi dans les derniers mois de post-production, l’absence de Danny Elfman (parti sur un autre projet) impose quelques remplaçants, dont Young, qui se retrouvent notamment avec la responsabilité d’accompagner musicalement la fameuse scène du métro (en particulier quand Spidey essaie de le stopper). Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, à ce qu’on dit... 

 

Hellraiser - Le pacte : pinheadAgrou agrou

 

Trop de méchants, mais plus de plaisir 

On le sait, Spider-Man 3 souffre de son trop-plein de narration, qui peine à faire pleinement co-exister tous les arcs de ses personnages, à commencer par ses antagonistes. Pour autant, on ne peut pas enlever à Sam Raimi la consistance thématique du film, qui interpelle son super-héros au sommet de sa grandeur pour mieux mettre en scène sa décadence. Imbu de sa personne et hanté par ses traumas qui remontent à la surface, Peter Parker sombre dans le déni de ses propres limites, amplifié par l’apparition de Venom. 

Or, c’est là que la partition de Christopher Young fait des merveilles. Dès l’ouverture du long-métrage, qui reprend les leitmotivs aériens et épiques d’Elfman, le compositeur y ajoute une tonalité plus sombre, tandis que de nouveaux thèmes s’invitent à la partie avec des cuivres plus envahissants et des percussions plus métalliques.   

 

 

 

Spider-Man 3 est d’une certaine façon un film qui ausculte les démons de ses personnages, en offrant toujours un contrepoint à un certain manichéisme sous-entendu par le genre. Et ce mot, contrepoint, a son importance, parce que le travail de Young consiste à pirater le film de ses évidences musicales, au-delà même du fait qu’il se réapproprie le travail préliminaire de Danny Elfman. Peut-être est-ce en partie dû à la surcouche de sous-intrigues, mais Sam Raimi a dès le départ approché le musicien en lui demandant de penser les thèmes habituels d’un tel cinéma héroïque de manière détournée.  

Le plus bel exemple de ce postulat se trouve bien sûr dans la scène la plus importante du film, lorsque Flint Marko renaît en l’Homme-sable. Loin d’une proposition menaçante où les cors prendraient le pouvoir, Young aborde cette pure prouesse de cinéma numérique par un versant à la fois plus tragique, mais aussi merveilleux. Une suite de violons, parsemée de harpe et de piano, enchaîne de lentes notes pour marquer la (re)naissance inespérée du personnage.  

 

 

 

Tel un nouveau-né, le monstre découvre le monde, tout en faisant le deuil de ce qu’il a été. La musique se veut compatissante avec cet homme qui ne veut que sauver sa fille, alors que quelques cuivres viennent ajouter une dimension presque héroïque à l’ensemble. Marko se prend pour le héros de sa propre histoire, alors même que Peter Parker devient son propre ennemi.  

De là, la partition de Spider-Man 3 s’impose en toute logique sur les images d’un récit qui, derrière ses coutures à deux doigts d’éclater, est justement en quête de débordement. Young offre à l’Homme-sable un autre thème, plus classique pour un super-vilain, où les saxophones contrebasses, les clarinettes basses, les contrebassons et les cors s’étendent dans une cacophonie volontairement désagréable, qui grandit comme le personnage dans le climax.  

 

Spider-Man 3 : photoVoyons ensemble l'effet de la BO de Spider-Man 3 sur nos défenses naturelles

 

Pareil pour ce cher Venom, où l’agressivité des cuivres couplée à des violons stridents jouent avec leur positionnement en stéréo pour mieux entrer dans la tête du spectateur. Young accorde son thème à cette personnification du Mal, et s’appuie sur ses acquis dans l’horreur pour propulser sa mélodie dans une dimension inhabituelle pour du cinéma super-héroïque et grand public.  

La musique de Spider-Man 3 n’en devient que plus essentielle, tant elle pousse dans ses retranchements le développement d’un mal-être qui attaque à l’acide tous les personnages. Ce n’est d’ailleurs pas très étonnant que les passages d’action parviennent avec une fluidité déconcertante à mêler les uns aux autres tous ces leitmotivs, comme s’ils étaient tous rongés par la même douleur. 

 

Spider-Man 3 : photo,Quoi on parle de moi ?

 

S’il ne fallait garder qu’un morceau 

Bien entendu, le pinacle de cette démarche réside dans le thème du costume noir de Spider-Man, suite de croches tranchantes comme des rasoirs, qui assoit immédiatement la puissance acquise par le super-héros grâce à Venom. Non seulement le leitmotiv est tout de suite reconnaissable, mais il trouve un équilibre rare en parfait accord avec le personnage.

 

 

 

À la fois inquiétant et enivrant, le thème de Christopher Young donne la chair de poule par son aspect épique et jouissif, avant que ses notes descendantes ne fassent comprendre que Spidey est en train de tomber du côté obscur. Voilà un pur concentré du génie de cette bande-originale, et à sa façon de tordre l’idée même de la musique super-héroïque. Sympathy for the devil...

Tout savoir sur Spider-Man 3

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
LCR
05/04/2023 à 09:30

Le thème du Black Suited Spidey, déjà mémorable de base, a connu une grande visibilité ces derniers temps grâce au memes (parfois hilarant) sur TikTok, ce qui ne me dérange guère, ça permet à une large démographie de découvrir Christopher Young... Faut juste écouter la bande-son de Fusion, l'un des meilleurs soundtracks dans la catégorie film catastrophe à mon avis

Ratu ilmu mitam
09/05/2022 à 21:08

Oui mais...

C'est un peu l'apogée des ses deux compositeur, j'ai beau écouter toute leur prod en boucle sur Spotify premium, n'en ressort que Spiderman...

A quand leur revivel ?

RobinDesBois
09/05/2022 à 12:44

Aucun souvenir de cette BO. Je me rappelle juste de l'excellente scène de Parker sous coke qui arpente Manhattan tel Tony Manero sur People Get Up and Drive Your Funky Soul de James Brown.

Syarus
09/05/2022 à 10:04

La bande originale ultime c'est The Dark Knight et de loin !

Nico
08/05/2022 à 19:00

La scène de la naissance de l 'homme sable , une pépite !

Dirty
08/05/2022 à 18:45

Une des meilleures BO super-héroïques de tous les temps. Merci pour ce chouette article.

Aktayr
08/05/2022 à 14:30

La raison principale qui explique l'absence de Danny Elfman de Spider-Man 3 est le comportement exécrable qu'a eu Sam Raimi à son égard (dû entre autres aux énormes pressions liées au tournage du second opus), le poussant tout simplement à claquer la porte de la production.

"Je connais Sam Raimi depuis 15 ans. Spider-Man 2 était le cinquième film que je faisais avec lui et tout ce que je peux dire, c'est que la personne qui était là durant les sessions n'était pas Sam. Je ne sais pas qui c'était mais ce n'était pas Sam. J'avais l'impression d'être dans L'Invasion des profanateurs de sépulture. Voir un être humain changer de façon aussi négative m'a presque poussé à arrêter mon métier".

Mad Movies Hors-série 13 - 2009

Christopher Young et John Debney ont été même engagés dans la dernière ligne droite du tournage pour composer des musiques aditionnelles.

Stavos
08/05/2022 à 13:51

Merci pour cet excellent article ! De Young j'aime aussi beaucoup Drag Me to Hell (dont certains morceaux de Spidey 3 pourraient se réclamer), mais SURTOUT Hard Rain.