Mission : Impossible – la saga de Tom Cruise a-t-elle un problème avec les femmes ?

Judith Beauvallet | 14 juillet 2023
Judith Beauvallet | 14 juillet 2023

On ne le présente plus, le grand héros de la saga Mission : Impossible, c’est le mystérieux Ethan Hunt, incarné par l’aspirant demi-dieu Tom Cruise. Mais, comme dans beaucoup de films d’action, le héros est en partie forgé par son rapport aux personnages féminins secondaires qui viennent lui assurer une dimension émotionnelle (et virile). Souvent remplacées d’un opus à l’autre, les femmes de la vie d’Ethan Hunt sont terriblement éphémères. Pourquoi ? Petite étude de l’écriture des personnages féminins dans une saga de gros bonhomme.

ATTENTION SPOILERS, Y COMPRIS POUR LE DERNIER VOLET DE LA SAGA

 

TOUJOURS LE PREMIER SOIR

Dans la plupart des sagas dans lesquelles les personnages féminins sont relayés à un rang d'accessoire pendant que les hommes, les vrais, jouent aux gros bras, ces dames sont généralement rattachées à une sous-intrigue à la teneur sentimentale ou sexuelle (même quand c’est tout juste sous-entendu). De cette manière, le caractère classiquement viril et hétéronormé du héros est assuré, comme si le spectateur ne pouvait pas se contenter de le voir faire des cascades et qu’il fallait le rassurer sur le fait que le personnage principal est capable de pécho tout ce qu’il veut.

C'est exactement ce qu'il se passe dans le Tom Cruise impossible universe. Sans volonté ou psychologie propres, certains personnages féminins sont avant tout voués à être la possession sexuelle de Hunt : c’est notamment le cas de Nyah, interprétée par Thandiwe Newton dans Mission Impossible 2. Entre effets de cheveux et cadres plongeants sur son décolleté, Nyah est d’abord la proie de Hunt, puis l’objet de la rivalité sexuelle entre le héros et le méchant.

 

Photo Thandie NewtonNyah personne

 

Ni plus ni moins que le trophée d’un concours de zgegs, voué à ne jamais réapparaître dans la saga tant la femme perd son intérêt une fois que Hunt a gagné ledit concours. Et si Nyah est l’exemple le plus extrême, la même mécanique est à observer chez beaucoup d’autres.

Car même lorsque Hunt ne conclut pas avec “la” fille du film, la porte de la séduction n’est jamais totalement fermée, quitte à user de regards en coin et de sous-entendus effarouchés. Notons d’ailleurs comme il est improbable que le peu de femmes qui travaillent pour la IMF soient toutes, comme par hasard, jeunes et sculpturales, alors que les mêmes critères ne sont pas exigés pour les personnages masculins (on a l’habitude). Dès lors, pour garantir la virilité de Hunt, il lui sera concédé d’au moins embrasser les personnages féminins avec qui il n’a pas d’histoire ouvertement sexuelle. Parce qu’il faut que la possibilité demeure.

 

Mission : Impossible 2 : photo, Tom Cruise, Thandie NewtonLa femme de sa vie (pour environ deux minutes)

 

Baisers volés

Un principe qui donne lieu à des scènes aussi absurdes que gênantes de bisous gratuits, comme celui volé à Paula Patton dans Protocole Fantôme lors de la séquence de la réception. Avec l’excuse scénaristique la plus boiteuse jamais inventée, Hunt roule par surprise à Jane Carter une pelle sortie de nulle part qui la laisse pantoise (pour que le spectateur comprenne bien que Hunt est irrésistible quoi qu’il fasse).

L’expérience est réitérée dans Fallout, où c’est le personnage de Vanessa Kirby qui dérobe un petit patin à l’agent secret, incapable de ne pas céder en pleine négociation, parce que... Parce qu’on ne sait pas pourquoi, et la gêne (sans aucune once de sensualité) qui résulte de ce moment souligne l’absurdité de ces artifices mis en place pour continuer de montrer Ethan comme un type bien attirant et bien hétéro même s’il ne couche pas.

 

Photo Tom Cruise, Paula PattonQuelques minutes avant le drame

 

Eh oui, car plus le temps passe, et moins Ethan est un personnage sexué. Est-ce par puritanisme ? Ou parce que la saga veut éviter de tomber dans le cliché d’un homme vieillissant qui se tape des minettes, tout en refusant d’embaucher des actrices du même âge ? Ou simplement parce que Tom Cruise n'a plus envie de ça ? Mystère.

Mais le résultat est que les personnages féminins se retrouvent dans cette étrange position d’objet de désir jamais assouvi, pas vraiment libérés de leur rôle de love interest, mais pas vraiment écrites en tant que tel non plus. La manière dont Hunt reluque Jane Carter ou Ilsa Faust sans qu’une histoire d’amour avérée se fasse avec l’une ou l’autre est révélatrice de cet entre-deux qui n’ose y toucher et préfère le statu quo.

 

Mission : Impossible - Fallout : photo, Vanessa KirbyQuelques minutes avant l'autre drame

 

PLUS DE PLACE DANS LE congélo

Car les Hunt girls ont un autre rôle que seulement celui de séduire le héros. En effet, elles sont surtout parfaitement représentatives du syndrome de “la femme dans le réfrigérateur”, bien connu dans le monde de la fiction. Trope défini par Gail Simone en 1999, ce syndrome désigne un traumatisme classique qui caractérise bien des héros masculins : une femme meurt (ou subit un drame ou une agression), et le bouleversement qui en résulte sert de tremplin à la progression de son compagnon, le héros.

Selon les règles de ce lieu commun, les personnages féminins tués ou évacués pour l’occasion ont rarement un rôle plus élaboré que celui-ci : servir de simple support au parcours psychologique du personnage masculin. Et s’il y a bien une saga dans laquelle les personnages féminins disparaissent à tour de bras, c’est Mission : Impossible. Sans compter les femmes qui ne réapparaissent tout simplement jamais par pure commodité de servir de la chair fraîche au public à chaque opus (comme Nyah et surtout Jane Carter), il y a toutes celles qui meurent.

 

Mission : Impossible : photo, Emmanuelle BéartEmmanuelle Béart, la première Hunt girl au cinéma

 

Si les personnages de Kristin Scott Thomas et de Léa Seydoux, par exemple, sont tués au même titre que les personnages masculins qui se font descendre au fur et à mesure des intrigues, les personnages d’Emmanuelle Béart, Keri Russel et évidemment Rebecca Ferguson sont éliminés pour devenir chaque fois le nouveau traumatisme moteur d’Ethan Hunt. Et peut-être aussi parce que, comme d’habitude, les scénaristes ne savent pas quoi faire d’un personnage féminin sur la durée.

Le personnage de Keri Russel, dans le troisième volet, est particulièrement représentative du syndrome de la femme dans le frigo : mise en scène à travers des flashbacks montrant sa proximité avec Hunt, elle existe principalement dans l’évocation et le souvenir du héros comme une motivation originelle (et absente).

 

Mission : Impossible 3 : photo, Tom Cruise, Keri RussellAvec Tom Cruise, l'élève meurt toujours avant de risquer de dépasser le maître

 

Ilsa Faust, personnage féminin le plus intéressant de la série, est mise en scène depuis le début à travers les réminiscences de son image (son fameux portrait photo qui est brandi en premier plan ou arrière-plan pendant trois épisodes), et son lien à la fois soudain et privilégié avec Hunt était devenu le terreau idéal pour faire d'elle une énième femme dans le réfrigérateur.

La voilà donc tuée pour créer un nouveau traumatisme destiné à faire évoluer Hunt, ce qui permet, par ailleurs, de la remplacer elle aussi par une nouvelle jeune première (Hayley Atwell). Même le personnage de Pomm Klementieff, la fameuse Paris tant utilisée sur les affiches promotionnelles de Dead Reckoning et beaucoup moins dans le film, n’a pas une ligne de dialogue sauf quand elle frôle la mort pour, là aussi, émouvoir Hunt et changer son regard.

 

Mission : Impossible - Rogue Nation : photo, Rebecca FergusonC'est pas ma Faust

 

roméo et julia

Évidemment, l’exemple ultime reste le cas de Julia, l’ex-femme de Hunt incarnée par Michelle Monaghan. L'écriture de ce personnage pousse à son paroxysme le syndrome de la femme dans le frigo et la change en surgelé perpétuel : dans le troisième volet, tout d’abord, le film débute sur un flashforward qui montre sa “mort”, drame qui donnera toute sa tension au déroulé du scénario et teintera de morbide les moments de vie entre elle et Ethan.

Puis revient la fameuse scène de sa “mort”, sauf que la victime sacrifiée n’était pas la vraie Julia, mais une autre personne portant l’un de ces satanés masques qui ôtent toute crédibilité à la tension dramatique, et Julia survit.

 

Mission : Impossible 3 : photo, Tom Cruise, Michelle MonaghanL'une des rares qui échappe à la mort, mais c'est tout comme

 

Mais dès le volet suivant, Protocole Fantôme, elle disparaît : les personnages secondaires parlent d’abord d’une séparation, puis d’une mort tragique (encore), puis il est enfin révélé que Hunt s’est éloigné d’elle pour la protéger, mais qu’il leur arrive encore de s’échanger de loin un regard humide, comme dans la dernière scène du film.

C’est pratique pour donner à Hunt un semblant de substance émotionnelle et d'humanité, mais sans s’encombrer du personnage féminin qui va avec ! Et dans les volets suivants, Julia sera ressortie du frigo de temps en temps pour faire une apparition et à chaque fois servir de souvenir mi-émouvant mi-traumatique pour qu’Ethan se bouge le fion. Et l’on pourrait croire que l’écriture de la saga évolue, et que ces schémas ringards qui dictent le carcan des personnages féminins disparaissent petit à petit. Que nenni !

 

Mission : Impossible Rogue Nation : Photo Tom Cruise,  Rebecca FergusonFerguson méritait (beaucoup) mieux

 

En se débarrassant d’Ilsa Faust, seul contre-exemple de la saga, faisant ainsi d'elle la nouvelle Julia, remplacée par une femme beaucoup plus dépendante de l’aide de Hunt, le dernier volet de la saga se vautre dans les grandes largeurs et détruit le progrès qui avait été initié sur les films précédents.

Pire encore : une nouvelle et énième femme dans le frigo est sortie du chapeau, à travers des flashbacks (hideux) qui nous montrent de nouveau un traumatisme (encore plus) initial d’un Hunt qui assiste au meurtre d’une femme mystérieuse par le grand méchant. Une nouvelle sous-intrigue semblable à toutes celles qui ont comporté des personnages féminins jusque-là, et qui permet de se servir de la femme comme simple image et souvenir, mais surtout pas comme d’un personnage à part entière ayant une volonté propre. Bref, un sacré rétropédalage, que le prochain volet ne rattrapera sûrement pas.

Tout savoir sur Mission : Impossible - Dead Reckoning Partie 1

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commentaires
Super padawan
11/08/2023 à 11:36

Dans ce dernier épisode, au contraire, les femmes sont très ( trop) mises en avant. Il y a trop de personnages féminins si bien qu'on voit bien que les scénaristes ne savent même plus quoi en faire... à part les faire disparaitre. On voit beaucoup moins Tom Cruise dans ce Mission Impossible. Il est même un peu fragilisé... Pas vraiment mis en valeur...
On dirait qu'il a voulu trop en faire pour ne pas passer pour un macho justement en se mettant en retrait. Pareil pour Indiana Jones, on voit trop la nièce et pas assez Harrison...

Ethan
19/07/2023 à 18:11

@Niée
Ca l'est une comédie romantique je comprends même pas que vous en doutez

Niée
19/07/2023 à 17:27

@Ethan

Je ne vous fait rien dire, je vous réponds.
Merci, j'ai encore revu le film y'a une semaine.
Et si vous considérez que c'est une comédie romantique... ok

Ethan
19/07/2023 à 17:14

@Niée
Ne me faite pas dire ce que j'ai pas dit. Le jeu de séduction n'est pas la mission mais la relation avec ethan. Revoyez le début du film. C'est une comédie romantique ce film en même temps que c'est espionnage et aventures.

Ensuite sur la mission elle est responsable, elle est consciente des enjeux, au contraire c'est à son honneur d'accepter la mission et les conséquences malheureuses par rapport à elle-même

Niée
19/07/2023 à 14:28

@Ethan

Nyah est tout de même forcée de coucher avec Sean pour retrouver sa liberté. C'est pas du tout un jeu, elle en souffre, et se retrouve coincée. Son chéri Ethan lui demande sans le lui demander, pour obéir aux ordres et sauver le monde certes. Et plus tard, elle se substitue littéralement au virus : elle devient ainsi l'objet-enjeu du scénario.

Ethan
19/07/2023 à 14:18

Je ne suis pas d'accord avec vous sur Nyah. "La possession sexuelle d'ethan" franchement c'est nul de dire ça. C'est l'un de mes personnages favoris. Elle est surtout maltraitée par sean ambrose. Elle n'en demeure pas moins une femme libre qui s'amuse avec ethan. C'est un jeu de séduction entre les deux il faut voir le film

Ethan
19/07/2023 à 14:11

Pour ma part tous ces personnages une bonne partie en tout cas sont excellents et nécessaires.
Les meilleures : Claire, Max, Nyah, Lindsey, Julia, Jane, IIsa, Grace

Tonto
18/07/2023 à 15:26

@Morcar Je sors du film (LE chef-d'oeuvre de la saga, au passage) et certes, je comprends un peu mieux, mais je trouve toujours ça idiot. Le fait d'avoir supprimé le personnage en question n'exclut pas le fait que le personnage a été ultra développé et en bien. Elle est très très loin d'être juste une femme dans le frigo.
C'est peut-être aussi le prix d'avoir créé "trop" (?) de personnages féminins, tu es obligé d'en faire mourir. Si Benji ou Luther meurt, ça indiquera la fin de la saga, ce sera pour un volet conclusif. En attendant, on fait mourir les personnages qu'on a ajouté au fur et à mesure de la saga.
Nul doute que si chaque nouveau personnage intermédiaire avait été un homme, on aurait eu un article d'EL pour dire "où sont les femmes dans MI ?".

Morcar
17/07/2023 à 10:25

@Tonto, autant je suis d'accord avec toi sur le fait que les femmes dans MI ne sont jamais (à l'exception du 2) un objet de désir pour Hunt, autant il faut voir ce 7e volet pour comprendre (je pense) ce que Judith a voulu avancer dans cet article. Je n'en dirai pas plus pour ne pas te spoiler, mais comme il est dit, ce 7e film gâche toute l'avancée faite au niveau des personnages féminins sur les derniers films. Dommage...

PatrickJammet
15/07/2023 à 04:01

K7, allographe. Tom Cruise et les souvenirs de mes années collège, en US, collégial, le parallèle méta. Giant ! Un magnéto-cassette comme le squelette au masculin d'exception à la différence d'une assiette ou d'une pichenette, comprenette... N.B: "Billie Eilish", Barbie !

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