Supernatural : pourquoi la fin de la série est une petite abomination

Toutes les fins de séries ne sont pas nécessairement réussies, et celle de Supernatural est une bien belle référence en la matière.

Qu’il s’agisse de la saison de trop, ou d’un épisode final bancal, il arrive quelques fois que les derniers instants d’une série, pourtant cruciaux, laissent en bouche un goût plus désagréable encore qu’un shot de Smecta. 

Entre le final de Game of Thrones, exemple si évident qu’il fait désormais figure de comparatif, celui de LOST, qui n’en finissent pas de faire débat, de How I Met Your Mother, plus bâclé qu’une première branlette adolescente, ou encore de Dexter, dont le pathos abyssal pourrait ruiner jusqu’aux premières saisons, les mauvaises fins sont malheureusement légion dans le paysage sériel. Et plus récemment, un autre programme, culte lui aussi, a eu le déshonneur de rejoindre ce palmarès de l’incompétence. 

Ainsi, au terme de quinze longues saisons, presque toutes diffusées sur la chaîne The CW (ce qui est déjà mauvais signe), la série pseudo-horrifique Supernatural est finalement arrivée à terme en novembre 2020. Et si la qualité décroissante des dernières salves d’épisodes laissait amplement présager le pire, rien n’aurait jamais pu préparer les téléspectateurs au cataclysme qu’a réellement été le final. 

syndrome de la page blanche

Terminer une série qui dure depuis quinze ans, aussi mauvaise ait-elle pu devenir, reste malgré tout un enjeu majeur. Fort de ce postulat, Andrew Dabb, qui chapeaute la série depuis 2008, a décrété qu’il serait judicieux d’étaler le final sur deux épisodes : l’un pour conclure la saison, l’autre pour conclure la série. En soit, l’idée n’est pas mauvaise. Consacrer, au terme de 327 épisodes, toute une intrigue aux deux personnages de tête (lesquels représentent, sans mentir, l’unique raison pour laquelle les fans ont bien voulu se farcir quinze saisons) semblait effectivement être la démarche la plus appropriée.

Néanmoins, on a pourtant l'impression de découvrir la construction d’un « monstre de la semaine » et non un épisode final : six mois après avoir vaincu Dieu (oui, Dieu, avec un D majuscule) et décidé de mener une vie plus tranquille, Sam et Dean reprennent finalement du service lorsqu’un meurtre d’enfants les mène sur la piste de plusieurs vampires.

"Bonsoir, c'est la police du scénario, on nous a signalé une disparition"

Après plusieurs saisons passées à courir après des créatures mythologiques de plus en plus rocambolesques (outre le Créateur de toutes choses, les deux frères se sont tout de même mesurés au Scribe de Dieu, à Lucifer, ou encore à la personnification des Ténèbres, pour n'en citer que quelques-uns), autant dire qu'opposer les chasseurs à trois malheureux vampires dans le tout dernier épisode de la série n’a pas engagé les enjeux les plus palpitants qui soient. Si certains y ont vu un véritable retour aux antagonistes de la première saison, et a fortiori, aux sources, le sentiment général a plutôt été à l’insatisfaction qu’autre chose. 

Certes, le contexte pandémique est en partie à blâmer pour ce ratage. La crise sanitaire a non seulement entraîné une suspension du tournage, mais également, de nombreuses réécritures pour les deux derniers épisodes. Lors d’un entretien accordé à Entertainment Weekly, Andrew Dabb a ainsi admis « Nous avons procédé aux réécritures des épisodes 19 et 20 dès que nous avons eu connaissance des nouvelles réglementations sanitaires. Bien entendu, cela a changé des choses. Particulièrement en ce qui concerne le vingtième épisode. »

Idées zombies

Dans un autre entretien accordé à Glamour, l’acteur Jensen Ackles, qui prête ses traits à l’aîné des Winchester, a quant à lui confié qu'une grande réunion avec les anciens personnages de la série était initialement prévue. Néanmoins Samantha Ferris, l’actrice qui a prêté ses traits au personnage secondaire Ellen Harvelle, a affirmé plusieurs fois via son compte Twitter ne jamais avoir été contactée par les producteurs à ce sujet. 

Misha Collins, l’interprète de Castiel, est lui aussi notablement absent du dernier épisode. Certes, son personnage trépasse au terme de l'épisode 18 afin d'assurer la vie sauve à Dean. Néanmoins, il a rapidement été confirmé dans l’épisode final que le personnage avait en réalité été ramené  du Néant par Jack, et qu'il avait participé à la reconstruction du Paradis. Alors, pourquoi diable ne pas l'inclure à l'épisode final ? La question reste encore en suspens.

Cimetière narratif

TIME TO GET NAILED

Pour une raison obscure, les producteurs exécutifs de la série ont décidé de sacrifier Dean Winchester littéralement un épisode après que ce dernier soit parvenu à terrasser Dieu. Si la démarche était déjà douteuse en soi, son exécution est un véritable manifeste d'incompétence : dans ce qui représente très probablement l’une des pires séquences de la série, un vampire déguisé en mime (oui) parvient à empaler le personnage sur un clou logé dans une poutre. L’action est désolante, mais ce n’est malheureusement que le début.

La scène en elle-même, plus risible que tragique, s'étire inutilement, et semble plus propice à donner la part belle à des relents psuedo-incestueux qu'à réellement rendre hommage au personnage. Après tout, les deux frères sont bien connus pour ne littéralement jamais mourir, tant et si bien que le concept même de la mort a perdu toute crédibilité au sein de la série. Choisir de liquider le personnage sur un vieux clou rouillé dans une grange délabrée fleure ainsi davantage la mauvaise blague (voire, le foutage de gueule), que le parti-pris mûrement réfléchit.

Dix secondes avant le désastre (et vingt minutes après le début de l'épisode)

Et même en dépassant la scène en question, les circonstances dans lesquelles meurt le personnage forment un crachat à la face de son arc narratif. Dean est un personnage qui, depuis le début de la série, se considère avant tout comme de la chair à canon, dont l'unique but est de protéger son frère. Plusieurs saisons de déconvenues diverses et de dialogues éclairants finissent néanmoins par lui ôter cette idée saugrenue du crâne. Si bien que dans l’épisode final de la saison 13 (L’épée de Saint-Michel/Let the Good Times Roll), ce dernier confie à Sam souhaiter abandonner le métier et couler des jours plus tranquilles. 

Au final, Dean meurt tel qu'il l'avait prédit dans la première saison, annihilant de fait toute notion de libre arbitre (pourtant l'un des fers de lance prêchés par la série) et de développement personnel. Une conclusion qui, en plus de décevoir les fans de la série, est loin d'avoir convaincu l’interprète du personnage. Lors d’un entretien accordé à Entertainment Weekly la veille de la diffusion de l’épisode final, Jensen Ackles n’a pas cherché à dissimuler son mécontentement face au dénouement de la série :

Catharsis

« Pendant le hiatus entre les saisons 14 et 15, Jared et moi avons été convoqué dans la chambre des scénaristes à Los Angeles. (…) Ce n’était pas une session de brainstorming, nous avons simplement été mis devant le fait accompli. C'était à prendre ou à laisser. Je suis sorti assez mal à l’aise.

Je ne sais pas si c’était l’idée de faire mes adieux à une série à laquelle j’ai participé pendant les quinze dernières années de ma vie, si c’était devenu trop personnel pour que j’arrive à en accepter la finalité, mais je n’étais pas fan. J’ai eu beaucoup de mal avec ce choix de fin, ce n’est pas un secret, je me suis déjà beaucoup exprimé dessus. C’est Eric Kripke [le créateur de la série, ndlr] qui m’a aidé à prendre du recul. »

"Qui suis-je réellement ?"

ÉVOLU-QUOI ?

Il s’en passe des choses, en quinze saisons. Les personnages principaux évoluent, une pléthore de personnages secondaires rejoint progressivement l'aventure, tandis qu'une myriade d'intrigues se succèdent gaillardement. Pourtant, au vu de l’épisode, il est difficile de saisir que quinze années se sont écoulées. C’est si difficile à saisir d’ailleurs, qu’il est tout à fait possible de regarder le tout dernier épisode juste après le tout premier épisode, et d’être parfaitement en mesure de suivre le cours de l’action. 

C’est à se demander à quel point les producteurs exécutifs, et en particulier Andrew Dabb, n’ont tout simplement pas fait exprès de pondre un final aussi indigent. Et au vu des déclarations de ce dernier à l'occasion de l’édition 2019 du Comic Con de San Diego, la question est peut-être légitime : « Cela fait maintenant 12 ans que je travaille sur cette série. Ce que nous avons prévu pour le final ne plaira qu’à 30% des spectateurs. Si vous pensiez que la conclusion de Game of Thrones était mauvaise, attendez juste un peu. »

"On voudrait un mot avec le producteur, promis on ne lui veut pas de mal"

Inutile de s’interroger sur le bien-fondé d’un communiqué pareil, il n’y en a pas. Mais peut-être explique-t-il un tant soit peu l’indiscutable vacuité dont souffre l’intrigue, la non-résolution totale des arcs narratifs de moult personnages (coeur sur toi Eileen), l’abandon radical du message initial de la série, la mort inexplicable de Dean, l’absence de Castiel en dépit de sa belle confession finale, ou encore l’aberrant montage centré sur Sam alors qu’il vieillit misérablement, affublé d’une perruque plus laide que les effets spéciaux des premières saisons.

Face à un dénouement aussi clivant, les fans se sont rapidement demandé s’il n’aurait pas mieux valu, au final, que la série se termine à la fin de la saison 5, comme c'était initialement prévu. L’épisode Swan Song (qui est accessoirement le mieux noté de la série avec une moyenne de 9,7/10 sur IMDB) s'achevait ainsi sur le sacrifice expiatoire de Sam et la défaite subséquente de Lucifer. Suite à cet évènement tragique, Dean choisissait de rendre hommage à la mémoire de son frère et d'abandonner le métier pour s’en aller, sous le regard bienveillant de Castiel, construire une famille avec son amour de longue date, Lisa Braeden.

Dabb aurait mieux fait de prendre des notes

Ce faisant, l’épisode résolvait chacun des segments narratifs introduits au préalable, et prodiguait aux deux frères une fin douce-amère, mais adéquate. La conclusion ne pouvait pas être plus idéale. De fait, malgré les quelques tentatives d'Eric Kripke de réhabiliter le final imaginé par Andrew Dabb auprès des fans, le producteur et scénariste ne trompe personne : le final de Supernatural est une petite catastrophe comme on en voit peu souvent, et deux ans plus tard, les fans peinent toujours à s’en remettre. De quoi laisser craindre le pire au regard du spin-off commandé par The CW.