Mystère à Venise est bien un bide et pourrait enterrer la saga Hercule Poirot

En septembre 2023 sortait Mystère à Venise, troisième adaptation des œuvres d’Agatha Christie par l’acteur et réalisateur britannique Kenneth Branagh. Après un accueil critique aussi moyen que pour les précédents, la recette Poirot est-elle encore rentable après trois films ?

Kelly Reilly en mère éplorée et Michelle Yeoh en medium mystique, le tout saupoudré de quelques effets à la Conjuring, c’était la recette proposée par Kenneth Branagh pour la rentrée 2023. Toujours épaulés par le spectre d’Agatha Christie, le réalisateur britannique et son scénariste Michael Green ont remis le couvert pour servir leur dernier Poirot. Une enquête pas comme les autres qui, cette fois-ci, osait basculer vers le fantastique. Un film dont la performance en salles sera décisive pour décider de l’avenir d’Hercule Poirot à l’écran.

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la locomotive termine sa course dans le fleuve

En tant qu’acteur shakespearien chouchou du cinéma anglais, Kenneth Branagh est le bon élève qui s’applique, depuis les débuts de sa carrière, à porter à l’écran les joyaux littéraires de son pays. Entre Frankenstein sorti en 1994 et à peu près tous les tubes de Shakespeare, de Henry V en 1989 à Comme il vous plaira en 2006, ce n’était qu’une question de temps avant que le très prolifique troubadour ne s’attaque au monument Agatha Christie. Et qu'il s’octroie le rôle iconique d’Hercule Poirot au passage.

Parti dans sa nouvelle frénésie littéraire, Branagh a déjà livré, à cette date, trois adaptations des aventures du petit détective à moustache : Le Crime de l’Orient Express a ouvert le bal en 2017, Mort sur le Nil a prolongé la traversée en 2022 et Mystère à Venise l’a donc suivi de près en 2023. Chacun de ces volets est produit (entre autres) par TSG Entertainment et distribué par la 20th Century Fox (rachetée en cours de route par Disney, sous l’égide de qui Branagh a réalisé le live-action de Cendrillon en 2015 et Artemis Fowl en 2020).

Ceux qui l'aiment prendront le train

Si la critique est chaque fois partagée sur la qualité artistique des films, rien ne semble ébranler le projet de Branagh. Il faut dire que la locomotive de L’Orient-Express a su tirer son ambition vers le haut, le premier film ayant rapporté plus de 350 millions de dollars à travers le monde, pour un budget de 55 millions. 26e au box-office mondial de l'année 2017, il avait courbé l’échine devant le plus fun Kingsman : Le Cercle d’Or (410 millions de recettes pour 104 millions de budget), mais pour un écart dépenses/recettes assez similaire.

Il avait même su se hisser au-dessus des échecs commerciaux de blockbusters comme Blade Runner 2049 (185 millions de budget pour 268 millions au box-office) et Alien : Covenant (environ 100 millions de budget pour 240 millions de recettes). Bref, de quoi donner du baume au cœur à notre Hamlet devenu Poirot. En revanche, la croisière de Mort sur le Nil fut moins idyllique, le film ne rapportant que 137 millions de dollars, soit à peine 37 millions de plus que son budget alors que celui-ci avait été doublé par rapport à celui de L’Orient Express.

La croisière s'enlise

Les controverses touchant à l’époque plusieurs membres du casting (dont les accusations pesant sur Armie Hammer) n’avaient pas aidé à la promotion de ce deuxième volet, souffrant déjà, par ailleurs, des conséquences du Covid et de plusieurs reports de dates. Selon les propos Kenneth Branagh au Hollywood Reporter, ces circonstances atténuantes et un joli parcours du film en VOD ont malgré tout poussé la 20th Century Fox et Disney à signer pour une nouvelle aventure :

“La sortie de Mort sur le Nil fut compliquée pour beaucoup de raisons, mais ses chiffres restent excellents au regard des circonstances, d’autant plus que sa performance sur les plateformes de streaming est exceptionnellement bonne. Donc j’étais ravi lorsque [la 20th Century Fox et Disney] sont revenus vers nous.”

Mystère à Venise, adaptation du moins connu La Fête du Potiron, entre en production en novembre 2022, soit quelques mois après la sortie de Mort sur le Nil (là où le temps écoulé entre Le Crime de l’Orient Express et Mort sur le Nil avait laissé à Branagh le temps de réaliser pas moins de trois films, dont Belfast sorti en 2021).

Quand Kenneth Branagh fait une escale à Belfast

VOIR VENISE ET MOURIR

Toutefois, le budget de ce troisième film est revu à la baisse, et ne s’élève cette fois-ci qu’à 60 millions de dollars (ce qui est toujours un peu plus que pour L’Orient Express, mais qui devait permettre de limiter un peu la casse en cas d’échec). Il faut dire que son casting le permet, car les stars présentes à l’affiche (Michelle Yeoh, Kelly Reilly, Jamie Dornan, Camille Cottin...) ont un rayonnement moins absolu que les Penélope Cruz ou Michelle Pfeiffer du premier volet.

Mais malgré ces ambitions réajustées, le film est, tout comme son prédécesseur et un nombre incalculable de productions, frappé par une crise. En effet, au moment de la date de sortie du film le 15 septembre 2023, la grève des acteurs bat son plein à Hollywood, et aucun membre du casting ne peut assurer la promotion, selon les consignes de la SAG-AFTRA.

Une trilogie maudite

Engagement louable mais coup dur pour ce Mystère à Venise qui ne peut donc miser que sur la rentrée, les retours de vacances et l’approche d’Halloween pour faire monter l’excitation. Auprès du Hollywood Reporter, Branagh avait d’ailleurs annoncé que, contrairement aux précédents, ce volet flirterait avec le surnaturel :

“Je dirais qu’il s’agit clairement d’un thriller fantastique qui ne suit pas le chemin de la rationalité. […] L’œuvre d’Agatha Christie permet de subvertir le genre, c’est pourquoi nous sommes heureux, tout comme elle et Michael [Green, le scénariste], de pouvoir effrayer les gens.”

Après tout, les films d’horreur ayant été une valeur plutôt sûre au box-office de ces dernières années (comme l’ont montré les succès de Smile, Scream 5 et 6, Conjuring 3 ou La Nonne 2), il n’était pas absurde de vouloir jouer cette carte pour intriguer le public.

Hercule recule

La stratégie a-t-elle fonctionné malgré les effectifs réduits ? Pour le dire simplement : non. En effet, puisque les recettes totales du film s’élèvent à 122 millions de dollars, soit 15 millions de moins que le précédent dont le score était déjà décevant. Son budget était certes inférieur, mais l’écart proportionnel entre celui-ci et les recettes s’est encore creusé.

Cela dit, le film se place, à ce jour, au 34e rang du box-office mondial de 2023, là où son prédécesseur avait terminé l’année à la 37e place (mais il reste encore un peu de temps à Mystère à Venise pour perdre quelques rangs). Si le résultat n’est pas infamant, il n'est pas glorieux non plus. La grève des acteurs (et donc la quasi-absence de promotion) aura-t-elle donc eu encore plus d’impact que les répercussions du Covid et les casseroles du casting qui avait coulé Mort sur le Nil ? Ou bien le public se lasse-t-il tout simplement de voir Branagh cabotiner sous sa moustache ?

La trop rare Kelly Reilly

Poirot sur la sellette

Il faudrait peut-être attendre de voir le parcours d’une quatrième aventure de Poirot pour trancher. Seulement, dans ces circonstances, un tel film peut-il exister ? Branagh n’a pas caché son envie, dès la sortie du Crime de L’Orient Express, d’enchaîner les adaptations afin de créer un Agatha Christie Cinematic Universe.

Il déclarait alors à Associated Press : “Il me semble que beaucoup de choses sont envisageables, non ? Avec 66 romans, nouvelles et pièces de théâtre à son actif, dans lesquels elles rassemblaient d’ailleurs souvent ses personnages, elle devait aimer ça. […] C’est comme s’il y avait là tout un monde. Comme chez Dickens, elle a créé tout un univers avec ses propres personnages, et je pense que ça ouvre beaucoup de possibilités”.

Quand le Poirot-verse et le Conjuringverse se rencontrent

Une ambition qui pourrait donc dépasser largement une trilogie de films, et qui semble en accord avec la mode actuelle (mais peut-être déjà mourante) des univers cinématographiques à la Marvel. Seulement, les romans d’Agatha Christie se prêtent-ils vraiment aux mêmes lubies que les films de super-héros, et peuvent-ils séduire ce public qui raffole des univers étendus ? Pourquoi pas, mais... la preuve est encore loin d’être faite.

Car si Branagh était déjà agréablement surpris que Mystère à Venise puisse être financé malgré les mauvais résultats de Mort sur le Nil, il y a peu de chance pour que la dure loi d’Hollywood lui pardonne deux échecs de suite. Certes, le projet d’un Poirot 4 est dans les cartons et les producteurs ont jusque-là tenu un discours plutôt encourageant, à l’instar de James Prichard, producteur exécutif, qui a déclaré à Total Film magazine lors de la sortie de Mystère à Venise que “si Ken[neth Branagh] veut continuer, et si Michael [Green] veut encore en écrire, nous en ferons sans doute un autre”.

Un Poirot aussi incertain que son avenir

Dans Variety, c’est la productrice Judy Hofflund qui a annoncé qu’il n’y avait pas encore de projet validé à cette heure-ci, mais qui a précisé qu’il y avait eu “des discussions au sujet de la suite”, et qu’elle “[sait] ce qu’elle voudrait faire, mais il est impossible d’en parler pour le moment”.

En somme, l’envie est là, aussi bien du côté de Branagh que des producteurs. Mais si personne ne s’est encore risqué à annoncer clairement un nouveau film du Poirot-verse, c’est que les négociations sont sans doute loin d’être gagnées. C’est malheureusement compréhensible au vu des chiffres trop modestes de Mystère à Venise, car après tout, si le réalisateur et les producteurs en veulent encore, ce n’est peut-être tout simplement pas le cas du public. Reste à voir si un futur parcours en streaming pourra sauver les meubles et faire pencher la balance en faveur du détective à moustache.