Oliver Stone : véritable contestataire ou opportuniste malin ?

Erwan Desbois | 19 septembre 2006
Erwan Desbois | 19 septembre 2006

Tel un Steven Spielberg ou un Woody Allen, Oliver Stone fait sans conteste partie du cercle restreint (fermé ?) des réalisateurs mondialement connus, y compris par ceux ne s'intéressant que de loin au septième art, et dont le nom suffit dès lors à vendre un film. Là où Stone détonne, c'est qu'il n'est pas tant reconnu pour l'excellence de son travail cinématographique que pour sa capacité à choisir des thèmes polémiques et à amplifier ces controverses par le traitement radical qu'il fait subir à ses sujets. Ainsi, à l'exception peut-être de Platoon, aucune de ses œuvres les plus célèbres ne peut aspirer à l'appellation de « classique ». Quant à ses longs-métrages non politico-polémiques (Talk radio, Entre ciel et terre, U-Turn), ils ont sombré dans l'anonymat – ou n'en sont même jamais sortis.

Oliver Stone, franc-tireur contestataire piégé (même si cela ne doit pas lui déplaire) dans le personnage de mauvaise conscience de l'Amérique qu'il s'est créé ? L'hypothèse a de quoi séduire. L'environnement dans lequel il a grandi semble le placer en retrait vis-à-vis des Etats-Unis : de mère française, il parle lui-même couramment la langue et a souvent séjourné de ce côté-ci de l'Atlantique (en particulier lors de l'écriture du scénario du Scarface de De Palma). Cette double nationalité peut avoir permis à Stone de conserver un regard critique sur un pays dans lequel il est par ailleurs entièrement immergé. Sa jeunesse est en effet très classique : paresseux dans ses études à Yale, il abandonna au bout d'un an et fut appelé au Vietnam. De même, à son retour, sa carrière cinématographique commence de manière banale : passage par la New York University, réalisation de séries B horrifiques – The hand, Seizure – et petite main pour les scénarios de metteurs en scène établis (Scarface donc, mais aussi Midnight express pour lequel il remporte son premier Oscar, Conan le barbare, L'année du dragon…).

Selon les dires de Stone, c'est l'un de ses professeurs à la New York University, un certain Martin Scorsese, qui lui a conseillé d'écrire sur ses propres expériences. Ce qui donne d'abord en 1971 un court de fin d'études intitulé Last year in Vietnam puis, quinze ans plus tard, Platoon. Ce récit largement autobiographique sur son vécu au Vietnam trouve sa place parmi les plus grands films sur le sujet car il offre justement un point de vue différent des chefs-d'œuvre reconnus du genre, tels qu'Apocalypse Now ou Voyage au bout de l'enfer : plus direct, brutal, à hauteur d'homme. Platoon ouvre également l'âge d'or de son réalisateur, qui en quatre ans, de 1986 à 1989, tourne trois autres brûlots tirés d'expériences vécus par lui-même ou ses proches, qui lui apportent reconnaissance publique et critique – Salvador (co-écrit par le photographe ayant réellement couvert la guerre civile du San Salvador), Wall street (le père d'Oliver Stone était l'un de ces traders dépeints dans le film) et Né un 4-Juillet, sur le retour au pays des soldats envoyés au Vietnam.

Oscarisé (meilleur réalisateur pour Platoon et Né un 4-Juillet) et oscarisant (la statuette du meilleur acteur revenant à Michael Douglas pour sa prestation dans Wall street), Stone passe la vitesse supérieure dans les années quatre-vingt-dix. Il transfère son énergie polémique de la sphère familiale à la sphère nationale, en se lançant dans une relecture décapante et sans retenue de l'histoire américaine d'hier et d'aujourd'hui. Après s'être échauffé avec un biopic habité sur Les Doors et leur chanteur vénéré Jim Morrison, le cinéaste choisit de conter à sa manière le destin de deux présidents des Etats-Unis, JFK et Nixon. Intentionnellement ou non, il s'agit des deux présidents associés respectivement au début et à la fin de cette guerre du Vietnam qui marqua tant Stone. Il s'agit surtout des deux plus importants scandales politiques américains de l'après-guerre – le meurtre de Dallas et le Watergate. Stone en tire dans chaque cas une œuvre au long cours (trois heures), foisonnante, partisane, rentre-dedans – autant de qualificatifs qui représentent au choix les qualités ou les défauts de ces longs-métrages. Pris dans son élan, courant trop de lièvres à la fois, Stone cafouille par endroits et nous laisse avec un sentiment d'inachevé. Ces films (trop ?) ambitieux en ressortent moins aboutis et moins frappants que ceux de la décennie précédente.

Ce manque de discernement et de recul est encore plus criant lorsque Stone s'attaque à un sujet contemporain, pour lequel il n'a plus aucune distance (reconstitution historique, biographie) entre lui et son thème. Il dérape ainsi franchement dans Tueurs-nés, qui voudrait dénoncer l'ultra-violence de notre époque mais échoue à force de mitrailler dans toutes les directions et à une cadence démesurée. Le message en ressort tellement brouillé que Quentin Tarantino déclare ne rien retrouver de son script d'origine dans le film, et que ce dernier se retrouve cité comme déclencheur dans plusieurs affaires de meurtres commis par des adolescents. Son sujet étant moins brûlant (les cadences infernales et le dopage dans le sport professionnel, ici le football américain), L'enfer du dimanche ne génère pas les mêmes polémiques lors de sa sortie. Il n'en rend pas moins malade la moitié des spectateurs à cause de son montage épileptique, l'autre moitié étant emballée par ce traitement collant de manière spectaculaire au sujet.

Après douze longs-métrages écrits et réalisés en quatorze ans, Stone fait une pause le temps de tourner deux documentaires politiques sur… Yasser Arafat (Persona non grata) et Fidel Castro (Comandante), dont il est un ami proche. Le second de ces documentaires ne manque bien sûr pas de faire parler de lui, en provoquant la colère de militants anti-castristes exilés aux Etats-Unis, qui exigent le remontage du film. Stone s'attache dans le même temps à mener à bien LE projet dont il rêve depuis de longues années : Alexandre. Le résultat est le four que l'on sait, avec trente-cinq millions de dollars de recettes aux Etats-Unis pour un budget estimé à cent cinquante millions de dollars. Le public n'a pas suivi le réalisateur en dehors de ses terres habituelles (l'Amérique moderne, et ses méfaits envers elle-même et le reste du monde), et Stone doit dès lors tourner « une histoire vraie sur le courage et la survie » – dixit la tagline de World Trade Center – pour montrer patte blanche auprès des studios. Soit un passage obligé malheureux mais finalement assez classique à Hollywood, où les convictions se comptent en dollars.

Sauf qu'il y a un hic : la conviction mise par le cinéaste dans la promotion de son dernier film. D'une diatribe sur les méfaits du patriotisme à l'époque de Né un 4-Juillet (« Les véritables ennemis sont le nationalisme et le patriotisme. Ce sont selon moi les deux forces les plus diaboliques de ce siècle, ou de n'importe quel siècle, qui sont la cause de plus de guerres et de morts et de destruction que quoique ce soit d'autre. »), nous voilà passés à des phrases comme « Nous devons développer un esprit de tolérance entre nous mais pas à l'égard de ceux qui tuent aveuglément (comprendre : « les terroristes »). » ; d'une défense de l'engagement et de la complexité de ses films dans les décennies précédentes (« J'aime les films intelligents qui vous frappent de plein fouet. […] Il y a beaucoup de choses à assimiler dans mes films. »), on arrive à « L'époque était légère, je pouvais donc me permettre de faire des films graves ; maintenant que l'époque est grave, il est de mon devoir de faire des films plus légers ». Alors quoi ? Stone ferait-il du zèle, emporté par sa fougue habituelle ? Ou bien n'est-il en réalité composé que de fougue, sans convictions profondes à défendre derrière ? La relecture de sa filmographie en choisissant l'une ou l'autre de ces deux hypothèses tient la route. Et la question est donc posée : Oliver Stone, pourfendeur des travers de son pays ou américain pur jus doté d'une plus grande gueule que la moyenne et qui suit le sens du vent ? Ce qui est sûr, c'est qu'après avoir enchaîné son plus grand échec commercial et l'un de ses plus grand succès, le réalisateur se trouve dorénavant à la croisée des chemins. L'utilisation qu'il fera de la liberté qu'il a retrouvée grâce à World Trade Center nous éclairera sur la personnalité réelle de l'homme.

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