Saint-Jean-De-Luz 2022 - Jour 1 : Silent Hill au Pays Basque

Christophe Foltzer | 5 octobre 2022 - MAJ : 05/10/2022 11:37
Christophe Foltzer | 5 octobre 2022 - MAJ : 05/10/2022 11:37

Comme chaque année, nous nous rendons au Festival International du Film de Saint-Jean-De-Luz durant la première semaine d'octobre pour y découvrir une sélection de premiers et seconds films de jeunes réalisateurs et réalisatrices. L'occasion de prendre quelques baffes inattendues.

Et cette année, la mission du Festival est de l'ordre du vital. D'ailleurs, le directeur artistique Patrick Fabre ne s'en cache pas : il faut ramener le public dans les salles de cinéma. Aussi, lorsque l'on voit que cette première journée de la compétition a fait salle comble à chaque séance, nous nous permettons tous les espoirs de croire que nous ne sommes pas les seuls à penser que le cinéma se voit en grand et dans une salle obscure.

Le jury, présidé par la comédienne Géraldine Pailhas et composé de Charlène Favier, Stéphane Foenkinos, Valérie Karsenti et Jean-Paul Gaultier, aura fort à faire pour désigner un vainqueur tant cette première journée a mis d'emblée la barre très, très haut. C'est dans une ville enveloppée d'un brouillard tel qu'il ferait rougir celui de Silent Hill que nous avons découvert trois films très différents, mais unis par la même ambition artistique. L'édition 2022, c'est parti.

 

Harka : photo FIF St Jean De Luz Affiche

 

 

HARKA

Et on commence très fort avec l'excellent Harka, premier long-métrage en forme d'uppercut du réalisateur d'origine égyptienne, Lotfy Nathan. Tour à tour drame intimiste et brûlot révolutionnaire, le film impressionne dès ses premiers plans par sa maitrise technique et la poésie qui s'en dégage. En partant d'un canevas dramatique assez simple et prévisible, le réalisateur subvertit pourtant nos attentes en parsemant son métrage de détails et d'indices qui tendent à révéler le vrai coeur du film.

Récit d'une jeunesse meurtrie par l'échec du Printemps Arabe, rêvant plus que jamais d'un Ailleurs salvateur, Harka multiplie les scènes fortes et délicates, douces et percutantes, aidé en cela par le phénoménal Adam Bessa, véritable révélation, totalement habité par son personnage, d'une incandescence folle, d'une violence contenue douloureuse et d'une humanité refoulée plus que touchante. Ali, son personnage, traverse l'histoire comme un cauchemar à mesure que l'étau se resserre sur lui, coupant court à toutes ses velléités libertaires pour nous amener vers un final en apothéose, désarmant de simplicité et terrassant de noirceur. Un film simple en apparence, mais qui contient une puissance impressionnante.

À voir impérativement à partir du 2 novembre prochain.

 

Photo Adam BessaMagistral, tout simplement.

 

MAGNIFICAT

Changement de registre total avec Magnificat de Virginie Sauveur. Pour son premier long-métrage, la réalisatrice n'a pas choisi la facilité puisqu'elle nous propose, le plus simplement du monde, un postulat plus que prometteur sur le papier : à la mort d'un prêtre, les responsables de son diocèse découvrent avec stupéfaction qu'il s'agissait en fait d'une femme. Avec le choc vient aussi la réaction : il faut enquêter pour découvrir comment une imposture pareille a pu se produire tout en préservant l'image de l'Église.

Avec son sujet un peu fou, un casting plus que solide (Karin Viard, François Berléand) et un ton qui oscille entre la comédie acide, le road-movie initiatique et le thriller d'enquête, sans omettre le drame familial, Magnificat pèche malheureusement par un excès de générosité. La réalisatrice nous propose ainsi une recette narrative et thématique un peu trop copieuse qui étouffe progressivement son postulat de départ. Conséquence logique : le film se perd un peu en cours de route, voulant attacher autant d'importance à tous les aspects de son histoire.

Pour autant, on aurait tort de considérer que Magnificat est raté ou décevant : il témoigne au contraire de l'amour de la réalisatrice pour son (ses) sujet(s), fait preuve d'une solide tenue technique, nous propose quelques séquences particulièrement remarquables (dont une à l'onirisme plus que touchant) et touche à des thématiques sensibles et actuelles qui méritent toute notre attention. On aurait juste souhaité un film un peu moins écrit et plus ample dans le traitement de son sujet moteur. Mais nul doute que ces petites scories seront balayées à l'occasion d'un second long-métrage que l'on espère voir bientôt.

 

Magnificat : Photo , Karin ViardKarin Viard, prête à péter la digue du curé.

 

LA MAISON

Difficile de parler du sulfureux La Maison, premier long-métrage de la réalisatrice Anissa Bonnefont sans risquer de tomber dans le lieu commun. Il faut dire que son sujet prête à toutes les ambiguïtés et que le film, volontairement ou non, ne se prive jamais de les embrasser. Adapté du roman éponyme d'Emma Becker, La Maison nous raconte la plongée d'une écrivaine en recherche d'inspiration pour son prochain livre dans le monde de la prostitution berlinoise et des maisons closes. En immersion totale, d'abord fascinée, elle va peut-être y trouver une vérité sur elle-même qu'elle ne soupçonnait pas.

Un sujet pareil nécessitait d'y aller franco, sans fausse pudeur, et, de ce point de vue, La Maison est une franche réussite tant il joue le frontal, le choc, porté par une Ana Girardot telle qu'on ne l'a jamais vue. L'actrice est totalement investie dans un rôle qui marquera assurément le reste de sa carrière et qui ne laisse aucune place au mystère. Le souci, c'est qu'au-delà de ça, il y a aussi un film à raconter et, là, déjà, l'affaire est plus délicate.

 

La Maison : photo, Ana GirardotAna Girardot, sans limites.

 

Le récit joue à l'équilibriste entre deux thématiques a priori contradictoires et qui ne se rencontrent que rarement de façon harmonieuse. D'un côté, il y a le combat féministe, indispensable, destiné à rendre leur dignité à des femmes généralement réduites à de simples objets sexuels et de l'autre, la "descente aux enfers" de son personnage principal qui se trouve autant qu'il se perd dans cet univers sulfureux.

Si l'on rajoute à cela une couche morale assez étrange, incarnée par l'entourage proche de l'héroïne qui n'existe que pour la mettre face à ses propres choix, on se retrouve avec un objet filmique qui manque d'un réel point de vue sur son sujet pour vraiment passionner et qui est, parfois, à la limite du pensum embarrassant. Néanmoins, il convient de ne pas se limiter à notre seul ressenti pour aborder un tel film, surtout à l'aune de l'accueil plus que favorable que lui a réservé le public du festival. Ce qui est évidemment tout ce que l'on peut souhaiter à sa réalisatrice.

Bref, à voir pour se faire sa propre opinion à partir du 16 novembre.

Tout savoir sur Harka

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